A tout juste 23 ans, le réalisateur de courts métrages Cyril Nehme vient de remporter deux prix au Student Film Festival de Dubaï. Et il n'a pas l'intention de s'arrêter là. Rencontre.
Une licence de réalisation obtenue à l'Université Saint Joseph en 2012, un court métrage de fin d'études achevé en 2013... Tout aurait pu en rester là pour Cyril Nehme, avec de petits boulots dans la pub ou plus tristes, un billet d'avion vers des cieux plus cléments que ceux que connaît aujourd'hui le Liban. Mais c'était sans compter sur le talent du jeune réalisateur. ‘‘Faire mon film m'a pris toute une année, entre l'écriture, la consultation avec mes consultants, le tournage, le montage et la sonorisation’’ raconte celui qui cite volontiers Eisenstein (‘Le Cuirasser Potemkine’) et Kafka pour étayer ses propos. ‘‘Je l'ai présenté pour obtenir mon diplôme, puis je l'ai envoyé à quelques festivals’’. Et le succès est immédiat : ‘‘Il a été accepté au Beirut International Film Festival en septembre, et en novembre au festival étudiant de l'Université Notre Dame, où j'ai remporté le prix du meilleur scénario. Et là, nous venons de gagner le grand prix et le prix de la meilleure fiction à l'Original Narrative Student Film Festival de Dubaï’’. Une victoire d'autant plus savoureuse pour lui qu'il est aussi responsable du montage et du scénario de ‘People disappear all the Time’, le court métrage en question.
Une œuvre et une vision Et il n'est pas difficile de le faire parler de son film, une fiction oppressante sur laquelle on sent l'influence visuelle et sonore du ‘Brazil’ de Terry Gilliam et du ‘Procès’ d'Orson Welles. Des références qu'il assume pleinement. Le film se passe dans un Beyrouth un peu sinistre, gris et mourant. Un jeune homme est embauché dans un centre d'archive gouvernemental, avec pour but de numériser les photos des disparus de la guerre civile libanaise. Dans le centre ne travaillent que d'étranges vieux messieurs rigides, muets et effacés. Au bout d'un moment, le personnage principal découvre des archives un peu suspectes, et dévoiler la suite serait desservir le film. C'est en tout cas un beau moment de cinéma, qui malgré son atmosphère fantasmagorique et cauchemardesque peut clairement être considéré comme une véritable œuvre politique. En effet, le film plante clairement le décor d'une fiction pour mieux déjouer la censure qui aurait pu le frapper, tout en abordant des thèmes courageux et sensibles.
Cyril admet volontiers qu'il n'a pas suivi une narration ‘Hollywoodienne’ classique, et que ‘People disappear all the Time’ n'est pas ‘‘grand public’’. ‘‘Beaucoup de gens ne comprennent pas tout le film, ou butent sur certaines parties en particulier’’, expliquet il. Il y a là une certaine fierté tout à fait compréhensible à une époque où le cinéma américain ultra formaté influence de plus en plus celui du reste du monde. C'est presque une profession de foi, et il cite l'esthétique des films d'Aki Kaurismaki et l'œuvre d'Antonioni parmi les maîtres qu'il admire le plus. Des maîtres, il en a cherché au Liban, mais à défaut d'en trouver un, il a fini par sélectionner quelques films deci de là, quelques scènes, quelques dialogues, quelques scénarios, pour en faire son panthéon personnel. Et lorsqu'on lui demande de quoi le cinéma libanais a besoin, il répond sans hésiter ‘‘des cours d'écriture de scénarios. C'est vraiment la faiblesse de notre cinéma, et c'est dommage qu'on ne l'enseigne même pas dans les écoles d'audiovisuel’’.
‘‘J'ai toujours tendance à préférer les films qui ont une vision plutôt que ceux qui correspondent à une recette. Mon rêve est de parvenir à conserver mon intégrité artistique, de garder mon langage cinématographique propre et bien sûr d'inspirer le public’’. Racontet il. ‘‘J'aimerai continuer mes études en Allemagne ou en France, mais c'est au Liban que j'ai envie de travailler par la suite’’. Encore un vibrant exemple d'une partie de cette jeunesse libanaise qui ne compte pas laisser les agendas politiques ou religieux dicter leur avenir. Il y a quelques jours, Cyril a proposé son film à une section spéciale du Festival de Cannes. Plus de 3000 films envoyés chaque année pour seulement 70 acceptés... On lui souhaite bonne chance, il le mérite.
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