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DE LA BANLIEUE SUD… À DAHYEH

19/11/2024|Ramzi Salman

Une explosion lointaine, sourde et corsée résonne au milieu de la nuit. Je me réveille. J’ouvre les yeux et j’attrape mon portable. Il est 3h58 du matin.

L’armée israélienne ne dort pas. Tant qu’il lui reste encore des heures sur l'horloge, elle en fait usage en dépêchant ses F16 larguer ses terribles bombes.

Des jouets meurtriers que l’Humanité n’aurait pas dû inventer.

Je me lève et cours allumer la télé.

C’est une coutume libanaise ; on entend une explosion, on allume la télé. Un réflexe idiot mais qui se comprend lorsqu' on vit comme dans l’Absurde …

Je parcours les canaux et retrouve l’explosion sur une des chaînes qui ne se taisent pas. Le jeune reporter, fier de relayer la nouvelle, nous apprend que c’est dans ‘la banlieue sud’.

Évidemment.

La banlieue sud chez nous porte un autre nom, et depuis belle lurette. Chez nous on l’appelle ‘Dahyeh’.

L’explosion a eu lieu à Dahyeh, à ‘Hay el Amarkène’. 

‘Hay el Amarkène’ c’est le ‘quartier des Américains’.

Un nom surprenant pour une zone où les Américains sont synonymes de Satan…

Mais ce quartier porte cette appellation car jadis des Américains y habitaient…

C’était alors, dans les années 60, un joli coin calme à la lisière de la ville, où quelques immeubles modernes, venaient d’être érigés.

Je me souviens que nous y allions enfants, avec nos parents, visiter des amis à ‘Hay el Amarkène’, dans cette poignée d’immeubles, entourés de verdure, et là-bas, nous jouions dans les espaces verts parmi ces élégants buildings.

C’était à Chiah, pas loin de la Galerie Semaan.

Chiah était alors un quartier ‘up and coming’ comme on les appelle en Amérique.

Tout près de là, Haret Hreik était un petit faubourg chrétien de classe moyenne, convivial, où habitaient de grandes familles, comme des tribus où tout le monde se connaissait et s’interpellait.

L'un de mes meilleurs amis, y vivait et son père était président de la municipalité et patriarche de sa tribu.

Aujourd’hui, plus aucune de ces familles ne vit à Haret Hreik et mon ami est devenu français, médecin, vivant à Paris.

‘Dahyeh’, c’était à cette époque des années 50 et 60, la ‘Banlieue sud’, qui était là pour devenir la continuation élégante de notre capitale.

Une ‘Ville nouvelle’ comme l’appelaient nos urbanistes.

Car en ce temps-là, au Liban, nous avions de vrais architectes-urbanistes qui se creusaient les méninges et planifiaient l’avenir à une échelle nationale.

Depuis le mandant français, nous eûmes des urbanistes internationaux célèbres tels Paul Danger, Ernst Egli, et Michel Écochard, qui travaillèrent sur la planification de la Banlieue sud de Beyrouth.

Les accompagnant localement, il y eut également de remarquables urbanistes libanais tels que Farid Trad, Saba Shiber, Henry Naccache, Henri Eddé, Assem Salam et bien d’autres encore, qui contribuèrent avec ces internationaux à la conception de plans directeurs pour notre capitale et notre pays.

La planification finale portait la contribution de chacun de ces urbanistes compétents.

D’un point de vue urbanistique, la Banlieue sud débutait à partir de Ramlet el Baïda, juste après Raouché, pour s’étendre sur le littoral à travers une procession de plages commençant à Jnah, par une longue plage publique, suivie par une succession de plages privées ; l’Eden Rock, le Saint Simon, le Saint Michel, le Sands, la Côte d’Azur, l’Acapulco, le Riviera (un autre que celui de la corniche), et se terminant à Ouzaï avec le Miami Beach.

Vers la fin des années 60 le Coral Beach Hôtel vint glorifier ce cortège de plages, avec son élégant propriétaire, un certain monsieur Georges Massoud, qui y accueillait la haute bourgeoisie beyrouthine.

Parallèlement à la mer, et plus haut en élévation, dans la zone dite ‘des Sables’, se trouvaient l’ancien aérodrome de Beyrouth, le ‘Turf Club’, illustre club hippique, et plus loin vers le sud, le Golf Club of Lebanon, avec son terrain de 18 trous, aménagé sur une aire de 40 hectares et existant déjà depuis 1923 !!

Dans cette même zone des Sables, fut inaugurée en 1957 la Cité Sportive Camille Chamoun qui comprenait un stade de football de 49,000 places.

À travers ces dunes sablonneuses dévalant vers la mer, se trouvait une zone résidentielle appelée Bir Hassan, où l’on voyait d’élégants immeubles résidentiels, hauts seulement de 4 étages, qui admiraient la mer et l’horizon de toutes parts.

Une zone en devenir de la belle gente libanaise.

Riad El Solh, président du conseil de l’époque, et jusqu’à son assassinat en 1951, était particulièrement intéressé par ce territoire. De fait qu’il y construisit une belle villa, encore présente aujourd’hui, mais au milieu d’un décor tout à fait différent de celui qui lui était projeté.

D'autres prestigieuses villas se trouvaient également à plusieurs endroits de cette zone 'des Sables', celle des Pharaon, celle de Hajj Hussein Oueini, autre premier ministre, et celle des Doumet à la fin de Ramlet el Baida.

Ramlet el Baïda (les sables blancs), était l’une des plus belles avenues de Beyrouth ; composée d’une corniche supérieure et d’une autre inférieure, elle annonçait le début de cette banlieue sud. Entre l’avenue et la mer s’étendait une très belle plage publique qu’on appelait le ‘Saint Balech’, en référence sarcastique aux plages snobs du Saint Simon et du Saint Michel.

La banlieue sud, cette ‘ville nouvelle’, extension de la vieille capitale, avait l’ambition de répondre à plusieurs objectifs ;

L’un de ces objectifs étant celui d’une ville-jardin aux dimensions hygiénistes dont les arrangements et la salubrité, s’opposaient au désordre de la construction présente dans le vieux Beyrouth.

Un autre but était d’ordre social ; la banlieue sud se devait également d’être l’habitat de la ‘population travailleuse’ à différents niveaux de la société, et supposait aussi une initiative publique en faveur également des logements sociaux.

Michel Écochard voulait relier directement cette banlieue au centre-ville grâce à une ligne de tramway.

Une idéologie qui était à la fois moderniste et égalitaire.

Alors, voilà !

La Banlieue sud de Beyrouth, c’était à l’origine tout ça !...

Mais comment alors est-elle devenue la 'Dahyeh' de nos jours ?

Depuis la création d’Israël en 1948, le Liban n’a cessé de subir des répercussions dramatiques sur son territoire.

Le camp de réfugiés de Bourj el-Barajneh, fut établi en 1948 pour accueillir un afflux de réfugiés palestiniens en provenance de la Palestine occupée.

Le camp de réfugiés de Chatila le suivit en 1949.

Et ensuite, entre 1970 et 1974 le camp de Sabra compléta celui de Chatila. Et le Liban devint la principale destination des réfugiés palestiniens.

Mais parmi ces réfugiés se trouvaient des milices qui attaquèrent Israël depuis le Liban, entraînant le pays dans des accrochages graves qui firent qu’Israël nous envahit à plusieurs reprises, en 1978, 1982, 1996, 2006 et aujourd’hui en 2024.

Après avoir poussé les milices palestiniennes en dehors du Liban et lors des trois dernières incursions, c’était le Hezbollah qu’Israël venait combattre, et à chaque incursion, d’une manière plus brutale que la précédente, comme on le constate à l'heure de l'écriture de ce texte.

La Banlieue sud devint ainsi, tout au long de ces années, la destination de facto de tout réfugié qui arrivait à notre capitale.

Et accompagnant chacune de ces incursions israéliennes, il arrivait une kyrielle de nouveaux déplacés libanais venant des villages du sud. Protégés par les armes de leurs milices ils s’installaient illégalement, sous le prétexte d’être des réfugiés et finirent par occuper toute la banlieue, poussant la majorité de ses habitants originaux à quitter les lieux et transformant ainsi la banlieue en ce qui est devenu aujourd’hui notre triste ‘Dahyeh’.

Et c’est ainsi que la 'Ville nouvelle' de nos urbanistes prit la clé des champs pour se lancer dans un autre destin.

Ayant suffisamment regardé ‘Hay el Amarkane’ se calciner sur mon l’écran à 4 heures du matin, j’éteins le poste de télévision, et je vais me coucher.

Pour rêver à des histoires plus gaies …

 

 

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