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La belle moisson des dix ans du prix Ziryab, un pari fédérateur en plein Paris

04/12/2024

La généreuse, joviale et dynamique pédiatre, gastronome et autrice Noha Baz est aussi la fondatrice du prix Ziryab qui célèbre l’art culinaire et les ouvrages gastronomiques.  Ce prix fête aujourd’hui ses 10 ans ! Rencontre avec Dr Baz.

 

Vous venez de célébrer les 10 ans du prix Ziryab, que ressentez-vous ?

C’était vraiment une très belle fête qui a demandé évidemment beaucoup de travail et de préparations en amont, mais qui a été une façon de prouver une fois de plus que la culture et en particulier la culture gastronomique peut tenir tête à toutes les guerres et à toutes les crises.

C’était fabuleux de rassembler à la fois une littérature gastronomique choisie, des intervenants de très grande qualité, d’établir des tables rondes autours de sujets qui semblent parfois hermétiques au grand public et de mettre en lumière des artisans libanais engagés pour le bon vivant en France et puis d’agencer agréablement tout cela dans le déroulé d’une journée ludique, littéraire et gourmande.

Choisir le 22 Novembre, c’était aussi une célébration du souvenir de l’indépendance libanaise en plein Paris, c’était prendre par la main un très large public, venu des quatre coins de France, de Suisse et de Belgique pour l’emmener en voyage au Liban…

Le Zaatar et la mélasse de grenade venus de Strasbourg avec Levanthym et Sarah Kanj, les savons et le verre soufflé arrivés avec Christiane Audi du musée du savon de Saida, les céramiques de Nadine Abou et les belles vestes brodées de Joumana et Kim Uhlemann c’était un voyage en beauté avec ce supplément d’âme que tous les artisans du monde apportent avec eux.

 

Racontez-nous l’évolution du prix Ziryab depuis sa création

Depuis sa création en 2014, le prix était traditionnellement remis à Beyrouth, au salon du livre francophone de Beyrouth. Mais à partir d’octobre 2019, il a fallu s’adapter en fonction des crises successives qui ont secoué le pays. En 2019 en pleine ”Thawra ”le salon du livre avait été annulé par l’Institut Français mais nous nous étions immédiatement adaptés en organisant ”Les rencontres de Ziryab”, au musée Mim. Nous avions même offert cette année-là un récital musical dans lequel le sublime violon de Nidaa Abou Mrad avait enchanté les présents. Nidaa a beaucoup travaillé et écrit sur le musicien qu’était aussi Ziryab. Salim Eddé s’était chargé quant à lui d’émerveiller une fois de plus les visiteurs avec ses anecdotes autour de sa fabuleuse collection de minéraux et côté table Cynthia et Nazira Bitar avaient fait des prouesses.

 

En 2021 le prix avait été remis à Paris à l’ambassade du Liban. En 2022, retour à Beyrouth avec une délégation venue de France et de Suisse. Le prix avait été remis au consulat de France et tout le monde était ravi à commencer par la lauréate suisse de la huitième édition, l’autrice Tania Brasseur (pour son ouvrage simplement suisse !) qui fait depuis partie du jury. Fin septembre 2023, Bill François recevait le neuvième prix Ziryab à la mairie du 7ème arrondissement de Paris lors d’une cérémonie de deux heures durant laquelle nous avions eu accès à la salle du conseil de la mairie. Mais cette année, pour la dixième édition et l’anniversaire des 10 ans toutes les salles de la mairie était à notre disposition toute la journée et c’était exceptionnel !

Je salue une fois de plus pour cela l’esprit d’ouverture de Mme Rachida Dati, maire de l’arrondissement et ministre de la culture et toute l’équipe de la mairie spécialement Mme Josiane Gaude l’âme, le cœur et première conseillère de la mairie.

 

Comment s’est déroulée la journée du 22 novembre à la mairie du 7ème ?

Après un petit déjeuner typiquement libanais où la kneffeh de la maison Sibon et Stéphanie Nseir ont fait merveille ainsi que le délicieux labneh de Rami Mimassi (laiteries de la Beqaa) servi à la louche, les tables rondes proposées pour la journée ont suivi avec la thématique du thé en Méditerranée.

 

L’enthousiasme du public devait se poursuivre crescendo ensuite avec une réflexion autour de ” Qu’est-ce que le patrimoine culinaire ? ” et ”La cuisine de la consolation” ouvrage de Stéphanie Schwarztbrod édité chez Actes Sud livre dans lequel elle avait consacré un chapitre au Liban en m’interviewant. Je tiens à souligner la participation exceptionnelle à cette table ronde de l’auteur français Alain Vircondelet dont la simplicité et la modestie sont inversement proportionnelles à son extraordinaire talent. Nous faisons tous les deux partie des jury du prix Méditerranée dans différentes catégories, mais nous nous étions jamais rencontré. Il présentait à Perpignan lors de la remise des prix Méditerranée son dernier ouvrage Et nos pleurs seront des chants dans lequel il raconte le départ avec sa famille d’Algérie et son retour vers la France. Il décrit (cela m’a énormément touché) la tristesse de sa mère qui pleurait sur le bateau qui ramenait sa famille en France en disant : “mais il ne me reste même pas une cuillère”. Avec Alain et Astrid sa délicieuse épouse nous avions beaucoup échangé autour de la thématique de la table et j’avais découvert qu’il avait écrit un livre gastronomique ”la cuisine de là-bas,” qui fait joliment écho à mon propre ouvrage La recette d’où je viens. Nous avions déjà beaucoup de choses à se dire. Je l’avais ensuite appelé pour lui demander de participer à cette table ronde autour de la cuisine de la consolation, une façon de célébrer  la vie des personnes qui nous ont quitté autour de leur plat préféré . (Chez moi à la maison ça a toujours été comme cela.)

Pendant la table ronde nous avons lentement devisé sur le fait que la cuisine console aussi de ces départs forcés qui nous sont imposés par les conflits et les guerres.

Ce qui m’a fait très plaisir ce jour-là c’était la présence de beaucoup de jeunes libanais dans la salle, beaucoup d’adolescents qui traversent aujourd’hui l’épreuve de la guerre. Arrivés en France pour leurs études ils étaient comme nous tous terriblement anxieux à cause de ce qui se passait au Liban. Leur avoir fait partager cette journée c’est leur avoir réchauffé pendant quelques heures l’âme et le cœur. Les faire participer, les encourager à cuisiner, à retrouver les épices et les saveurs dans lesquelles nous avons été élevé c’est très important pour garder le lien avec cette terre d’où nous venons tous. Les jours où il fait très gris à Paris, cuisiner une moujaddara avec une salade de chou bien citronnée occupe les mains pour calmer l’esprit et apporter un peu de soleil c’est essentiel !


 L’identité culinaire est votre cheval de bataille. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

L’identité culinaire vous voulez dire le patrimoine culinaire a été un des thèmes des tables rondes proposées. L’identité culinaire est très importante dans tout exil.

Les personnes qui quittent un pays transportent trois choses dans leurs valises : leur dialecte, leurs goûts culinaires et leur musique. Nous autres libanais malgré nos différences ce qui nous lie est tellement plus fort que ce qui nous sépare. Nous nous rassemblons autour de Feyrouz mais également autour d’un bon Kebbé, même si nous le préparons chacun à sa façon. Quel merveilleux moyen de transmettre une terre dans une assiette. Il se trouve que mes petits-enfants, grandissent à Paris et que tous les mercredis ils établissent à l’avance le menu de ces moments de fête en cuisine et de même pour les déjeuners du dimanche, toutes ces traditions qui nous ont porté à nous, que l’on a essayé de maintenir à travers toutes les guerres. Nous nous sommes toujours retrouvés autour d’une table. Expliquer le Labneh, raconter le Kebbé et les lentilles du vendredi. C’était le sujet de ma thèse pour le cursus universitaire des hautes études du goût et de la gastronomie effectuée à Reims. Thèse qui a été t le début de l’aventure de l’écriture pour moi.


On transmet un pays comme on transmet une langue et la gastronomie est une langue. Au fil des ans j’ai repéré les bons artisans libanais ceux qui sont vraiment dans leurs cuisines. Sarah Kanj, par exemple est venue de Strasbourg exprès pour raconter le Zaatar lors d’une autre table ronde avec Jacky Durand où ils ont évoqué les bienfaits des plantes, c’était fabuleux. Nous avons eu également Pierre Yverneau passionné de café qui est venu de Reims et qui nous a raconté son aventure de façon incroyable

Ce qui m’a surtout fait plaisir c’est l’émerveillement des présents devant cette culture gastronomique qui est ma passion depuis toujours ! Il y a tellement d’histoires dans une assiette. Les karabiges dont j’ai raconté l’histoire dans ”De miel et de lait”.

Toutes les traditions de table sont passionnantes et le but du prix Ziryab est de les mettre en avant. Établir ce pont culturel gourmand entre l’Orient et l’Occident a été ma façon d’aborder la culture gastronomique du Levant. J’en avait tellement marre d’entendre associer notre terre à la barbarie des guerres et des bombardements. Il y a tellement de raffinement dans les tables orientales, tellement de belles histoires. Ma bibliothèque gastronomique contient un peu plus de 5000 ouvrages aujourd’hui et s’enrichit tous les jours mais pour moi l’être humain est d’abord pétri de ça. Nous mangeons trois fois par jour et Hippocrate a été le premier à dire “que ta nourriture soit ta première médecine”


Quels étaient les livres en lice et qui sont les lauréats ? 

Il faut savoir que le prix est réfléchi au cours de trois réunions annuelles. Lors de la première nous présentons les premiers livres de la sélection annuelle qui va de septembre à septembre. Nous éliminons ceux qui ne nous paraissent pas répondre aux critères du prix : une belle histoire de tradition ou de transmission culinaire, illustré de recettes. Les photos sont un plus, mais ne sont pas indispensables. A la deuxième réunion nous continuons la recherche nous ajoutons de nouvelles entrées et faisant un deuxième tri. La troisième réunion qui a lieu fin septembre est celle du vote où sont alors élus les lauréats de l’année.

Les finalistes cette année étaient une dizaine. Il avait l’Histoire gastronomique de Paris de Patrick Rambourg qui est un livre fabuleux. Rambourg est un historien gastronomique extraordinaire mais pour marquer le dixième anniversaire du prix, nous avons avec le jury préféré un ouvrage qui fasse le lien entre les deux bords de la Méditerranée. Il y avait également l’Art des vivres de Valentin Husson, philosophe de l’alimentation. Un autre petit bijou tout comme Petit éloge des cafés où Elsa Wiazemsky raconte les cafés qui ont accompagné sa vie. Dieu sait si les cafés parisiens sont des lieux de vie et de rencontres. La cuisinière des Kennedy, l’histoire très touchante d’une femme née sous X qui a été pendant des années, la cuisinière de la famille Kennedy. Le choix du jury s’est finalement porté sur un livre absolument fabuleux, écrit par Dorothée Perkins et Perrine Bulgheroni : La foi la fouche et la fourchette. Un ouvrage qui raconte l’histoire d’une congrégation de religieuses orthodoxes venues d’Alep fixée par ailleurs à Kaftoun dans l’arrière-pays de Batroun, qui s’est également établie en France au monastère de Solans. C’est un des plus beaux livres que j’ai lu pendant les 10 ans du prix. Il invite à la fois à la réflexion sur l’essentiel, à trouver le bonheur dans la sobriété et donne sens à tous les petits gestes de tous les jours en cuisine. De très belles photos illustrent des recettes simples à base des produits que les sœurs font pousser au monastère.

En même temps le livre interpelle le lecteur sur le futur de notre alimentation, des consommateurs que nous sommes, nous invite à manger simple et intelligent. Durant la délibération une personne du jury a tiqué sur le mot foi. J’ai donc expliqué que la foi et la religion étaient deux choses différentes. Le prix est totalement indépendant et laïc.

 

A part donc cette personne tous les autres membres du jury avait compris l’importance du livre, Farouk Mardam Bey en premier, tout comme Caroline Savoy, Arzu Erguner, Sophie Deslandes (qui nous avait d’ailleurs proposé le livre après une visite à Solans), Catherine Besse, Paule Masson, Monique Moussalli.

J’ai porté l’ouvrage à bouts de bras parce que c’était franchement celui qui m’avait le plus convaincu mais je me serais bien sûr pliée au vote du jury.  

 

La deuxième lauréate c’est Emmanuelle Jary. Prix découverte innovation du Ziryab 2024.

L’idée de mettre en lumière la presse gastronomique qui se bat tous les jours pour trouver sa place dans un monde de plus en plus numérique est importante. Le travail d’Emmanuelle force le respect. Anthropologue de l’alimentation c’est une femme passionnée qui a fondé C’est meilleur quand c’est bon, une chaîne télévisuelle que vous pouvez suivre sur les réseaux, doublée d’une revue.

Elle soulève à la fois des questions de fond : La chaîne alimentaire, la provenance de ce que nous avons dans nos assiettes : saumons d’élevage, poulets en batterie, etc …  Apprendre à ne pas consommer idiot c’est quand même un travail de tous les jours !

À côté de cela elle va à la rencontre des restaurateurs et des produits, met en lumière le travail d’artisans avec une thématique trimestrielle.

 

Nous nous sommes rencontrées avec les lauréates après la délibération et je les ai emmenées à Paris chez Ajami pour leur raconter et leur faire goûter les hits de la cuisine libanaise traditionnelle.

Les deux lauréates ont été couronnées au cours de la journée Ziryab, lors d’un cocktail qui a réuni sur invitation toutes les personnes qui comptent dans le monde de la gastronomie. Des personnes passionnées comme Jean-Francois Mallet qui a écrit un superbe livre sur le Liban, il y a une vingtaine d’années et qui reste à mon humble avis un des meilleurs ouvrages sur le sujet.

Jean François intègre notre jury, 2025 goût comm les deux lauréates plus Christine larmandier, Dan Burcea, Stéphanie Schwartzbrod et Zayan Kabalan.


Les trophées  ont été exécutés par Joumana Uhlemann ( Kanzaman ) qui avait effectué spécialement le déplacement sous les bombes depuis Beyrouth pour apporter avec sa fille Kim leurs sourires et leur très élégant savoir faire.

Un cocktail ponctué en rires et bonne humeur dans une ambiance conviviale et joyeuse a clôturé la journée.

Alors que depuis deux mois le Liban n’était évoqué qu’en violences, catastrophes et bombardements cette parenthèse bienfaisante a été un véritable baume sur le cœur de tous les présents.


 

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