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La mer c’est toujours un beau projet

11/10/2024|Ramzi Salman

Aujourd’hui j’ai envie de faire autre chose que ce que je fais tous les jours...

Et puisque la mer est là juste en face de moi, je vais y aller.


La mer c’est toujours un beau projet.

Lorsqu’on va à sa rencontre, on ne peut jamais se tromper.

Surtout un matin d’Octobre. Surtout à Ras Beyrouth.

Et surtout lorsque c’est au Sporting club.


J’envoie donc un message à mon ami Touha.

Touha est un ami d’enfance que j’apprécie beaucoup. Un homme calme. Tout mon contraire …

Un pêcheur dans le sang et un amoureux de la mer, bien qu’il fût issu d’un village proche de Baalbeck, il a vécu toute sa vie à Beyrouth et plus particulièrement dans la mer.


Touha était dans le temps un plongeur en apnée.

Jadis beau gosse athlétique, aujourd’hui il trimballe un bedon digne d’une femme enceinte de neuf mois.

Jadis, il plongeait en retenant son souffle à 16 mètres de profondeur, trouvait un poisson à sa taille pour se mesurer à lui au fond des abysses, le harponner, le maîtriser et l’empoigner à la fin pour remonter victorieux avec sa proie à la surface.


C’est probablement dans ces profondeurs et ces précieuses secondes de grande intensité entre la vie et la mort, qu’il a cultivé son calme et son sang-froid.


Je lui envoie un message à 7 heures du matin, Il me répond: ‘Je suis au Sporting depuis 6 heures, j’ai terminé ma nage, je bois mon café, viens’. J’enfile vite un maillot et un t-shirt et j’accours, tout fier de mon initiative.


Je passe par la corniche…

La corniche ces jours-ci, n’est plus ce qu’elle était ; depuis le début des bombardements israéliens du sud et de la banlieue, elle s’est transformée en quai de gare affairé.


À sept heures du matin, du monde, beaucoup de monde, des familles, des tentes, des narguilés, des enfants qui courent, des femmes voilées assises sur leurs tabourets, et des hommes sirotant le café! On rit, on discute, on se remplit les poumons d’air frais, faute de mieux, en regardant la mer.


La vie est plus forte que la mort, quoi qu’il advienne…


J’arrive au Sporting.

Le Sporting est un îlot d’authenticité de Ras Beyrouth, c’est aussi le point le plus avancé de Beyrouth dans la mer.

Et en dépit de toutes les meurtrissures que Beyrouth a subi, et en dépit de toutes les laideurs qui se sont greffées un peu partout sur notre ville, le Sporting est resté intact.


Plus simple et plus authentique que le Sporting, tu meurs …

Il y a des surfaces de béton nues pour marcher, des rochers naturels sublimes qui émergent du sol, il y a des parasols, et il y a la mer…


Rien d’autre qui puisse gâcher l’humeur de tous ces habitués qui s’y rendent tous les jours, pour se dorer au soleil et se rafraîchir à l’eau salée.


Les serveurs ici ne sont pas des serveurs, ce sont des indigènes de la mer. Ils n’ont pas été formés au Bristol, ni à l’école hôtelière.

Et c’est pour ça que tout le monde les aime.


Ensuite, lorsqu’on arrive au Sporting, même après une longue absence, on y retrouve tous les visages familiers. On s’embrasse, on se donne de chaleureuses accolades.


Les visages familiers sont ceux du bon vieux temps, pas les nouveaux riches, ni les ploucs, les fidèles, les vrais, les invariables...


Les conversations sont toujours agréables, car ici on a appris à éviter tout ce qui gêne.

Ici on a compris que ça ne vaut pas la peine d’en parler.

On préfère humer l’air salé, et se taire au lieu d’en parler.

Boire un café à la rigueur, et regarder la mer...

Ici on a tout compris à la vie, il n’est donc plus nécessaire d’en parler.


Juste on la vit et juste on l'apprécie.


Il y a les nageurs disciplinés, les pros, les sportifs, les amateurs, les vieux, les playboys périmés et les femmes.

Il y a aussi les oisifs, qui méditent et observent toute la scène et les autres gens.


Après les retrouvailles et les accolades avec quelques habitués, je retrouve Touha, tout basané, assis sous un parasol, fumant sa cigarette, croisant les jambes, le bedon en l’air.


On se retrouve. Je le fais rire, il me fait rire, et c’est tout ce qu’on cherche.

On parle de nos vies, de nos enfants. Des conversations existentielles.

On se lève, on fait le tour du Sporting.

Tout est encore là. Depuis l’éternité ; le rocher de Raouché, le lagon, le coin du ‘sharouk’ qui signifie ‘le happeur’, une échancrure du rivage où la mer vous happe.


On plonge dans la mer, elle est tiède en ce mois.

On se brûle les yeux et la langue à l’eau salée.

On remonte s’asseoir au soleil sécher avant de partir...


On entend une sourde explosion au loin.

Pourtant on voit les avions se succéder au-dessus de nos têtes vers la piste de l’aéroport.

Un délire…


On se rend compte que dans notre vie, le paradis est juste collé à l’enfer…

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