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L’éducation du goût ; de l’importance de transmettre un pays en mets et en saveurs

09/12/2024|Noha BAZ

Mercredi matin, Paris 8h30

 

Comme tous les mercredis, les enfants scolarisés en France sont livrés à l’école de la vie. À peine réveillé, un petit bonhomme de six ans vous demande de lui expliquer en picorant ses chocapics la différence entre ”notre pays et notre patrie ”.

 

Il vous a entendu répondre au téléphone dès potron-minet et réciter à une journaliste enthousiaste et éclairée vos multiples passions et appartenances gastronomiques.

Le jour se lève et le nez dans une Rakweh de café cardamome bien tassée vous êtes en train d’enfourner des manakiches. Vos petits-enfants sont fous de Zaatar et c’est aujourd’hui la journée récréation durant laquelle nous préparons ensemble ici les goûts de là-bas et où nous essayons de dompter l’exil à coups de Kebbeh et de Mouhallabieh. Le semainier des plats du jour familiaux libanais est au menu une semaine sur deux.

 

 “Notre pays” c’est celui où l’on vit. Pour toi aujourd’hui c’est Paris mais ce sera peut-être un jour ce Liban que tu explores de temps en temps pendant quelques semaines.

 “Notre patrie” c’est ce qui nous définit quelque soit le pays où nous avons choisi de vivre”.

Nous la portons en nous partout où nous allons dans le monde.

Pas sûr qu’il ait tout compris … mais il hoche la tête et conclut par « il y aura Kebbeh aujourd’hui ?”

 

Sa petite cousine de quatre ans vient à la rescousse et une autre question fuse illico « C’est quoi une façon de vivre mamie ?

”Eh bien ma chérie, c’est de manger au petit déjeuner comme vous le faites ce matin labneh, olives et manakiches. C’est de boire mon café avec ta maman dans ces petites tasses décorées et d’y rajouter une goutte de ”Mazaheur ”, cette eau de fleurs d’oranger qui sent si bon.

C’est d’écouter les chants de Fayrouz sur lesquelles tu aimes danser.

C’est une façon de cuisiner les lentilles que tu apprécies tellement avec les oignons caramel comme tu les appelles.

Et puis c’est aussi de préparer tout à l’heure comme nous l’avions fait lors des ateliers du goûts organisés dans ton école, des Atayefs que tes copains avaient rebaptisés pancakes libanais et qu’ils avaient beaucoup aimé !



Les ateliers de goût avaient été un véritable voyage au Liban en saveurs et couleurs. Nous avions pendant deux heures raconté le zaatar, goûté le haleweh, humé eau de rose et eau de fleurs d’oranger et jouer à glisser un loukoum entre deux biscuits Marie.

Nous avions partagé saveurs et coutumes témoins d’une terre qui continue à offrir tous les jours malgré toutes les crises beaucoup de petits bonheurs

À l’arrivée il y avait eu deux cents paires d’yeux émerveillés et ravis, des professeurs enchantés et des parents qui en redemandaient.

 

« Transmettre une terre c’est comme transmettre une langue » disait Mahmoud Darwish.

 

Mes enfants et mes petits-enfants tous libanais sont nés en France. Leur assiette se devait de leur raconter un pays qu’ils n’avaient jamais vu. Au quotidien à la maison le gratin dauphinois était au coude à coude avec les chiches taouks et nos éphémérides enrichies de deux fois plus de fêtes puisées dans cette double culture.

 

Si La Berbara et la Saint-Nicolas avaient quelques similitudes rien ne pouvait supplanter pour moi chaque année début décembre une bonne ”Amhieh”, dessert de blé tendre mijoté et parfumé d’épices qui accompagnait la tradition : celle de parsemer des cotons imbibés d’eau avec quelques grains de blé avant de décorer le sapin de Noël. Cette céréale symbole de prospérité pour l’année à venir qui se plante et se déguste me fascinait depuis l’enfance et j’en racontais à chaque fois l’histoire.

Maintenir les traditions d’un pays c’est le garder en vie. Le Liban était alors en pleine guerre civile et j’essayais, cherchant à tout prix un peu de lumière et d’espoir, d’en parler autrement.

 

Raconter l’histoire d’un plat fascine souvent les adultes mais permet toujours à un enfant d’en apprivoiser plus facilement le goût.



Lorsqu’il arrive au monde le nourrisson a déjà dans la partie limbique de son cerveau, zone des émotions, un décodeur lesté d’informations enregistrées au fil des siècles par tous les humains qui l’ont précédé. C’est ainsi qu’il montre dès sa naissance une solide aversion pour le goût amer. L’amertume dans la mémoire humaine collective étant associée à divers poisons et donc source de danger. Le petit de l’homme a par contre une passion pour le gras et le sucré qu’il trouve naturellement dans le lait de sa mère (souvent copié jamais égalé) et qui est pour lui source d’apaisement et de douceur. Il gardera ce goût des confort food lui tendront les bras à chaque fois qu’il aura besoin de réconfort.

 

L’éducation du goût est une entreprise passionnante qui demande au quotidien patience et imagination et offre à un enfant un passeport ludique pétri de plaisir et d’émerveillement.

Riche de ses multiples héritages notre patrimoine culinaire libanais est un trésor. À la beauté d’une terre bénie des dieux s’ajoute une mosaïque humaine qui contribue par ses savoir-faire ses traditions et ses diverses formes de convivialité à enrichir ce patrimoine tous les jours.

 

Notre gastronomie est un pays solide et fédérateur qui enveloppe avec tendresse et gourmandise.

Transmettre cet héritage est essentiel, encore plus aujourd’hui dans un pays éclaté dont les enfants se retrouvent éparpillés aux quatre coins de la planète. En partageant des moments en cuisine nous offrons à nos enfants une armure solide qui leur fera retrouver en une bouchée la maison de leur enfance et une terre sur laquelle, à défaut de grandir ils pourront un jour, espérons-le, revenir.


Transmettre les goûts oralement ou par l’écrit est un des piliers d’une éducation réussie. Même si par souci d’adaptabilité les recettes de notre cuisine sont quelque fois chahutées et retravaillées elles constituent aujourd’hui dans cet “étranger ” devenu obligatoire pour beaucoup, un signe de ralliement et de reconnaissance, un véritable cordon ombilical fait de senteurs et de douceurs.

Même si les réseaux sociaux dont nos jeunes adolescents sont si friands rivalisent d’inventivité, rien ne vaudra jamais un livre de recettes que l’on se passe de génération en génération.


Et un jour, lorsque ces petits deviendront parents à leur tour c’est avec émotion qu’ils se souviendront des gestes, des parfums et des mots.

Ils transmettront à leur tour cette patrie par petites bouchées.

C’est ce que l’on appelle une identité.



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