Le prix Ziryab va fêter ses 10 ans le 22 novembre 2024 à la mairie du 7ème arrondissement à Paris. Retour en mots et en émotions sur cette décennie avec la fondatrice du prix, Noha Baz.
Vous fêtez les 10 ans du prix Ziryab ! Pouvez-vous revenir sur cette aventure, sa genèse et son évolution ?
Au détour d’une table ronde au salon du livre de Beyrouth en novembre 2013 que je partageais avec Farouk Mardam Bey, un dîner avait été joliment organisé par l’Orient littéraire. Une soirée douce en bord de mer et une tablée amicale choisie.
Novembre est le mois de la remise des prix littéraires en France ; le Goncourt et le Renaudot devaient être annoncés quelques jours plus tard.
Je lançais une idée ce soir-là en plaidant la cause du livre gastronomique en disant qu’il était injustement mis à l’écart de tout cela, les prix récompensant toujours romans ou recueils de poésie.
L’idée de ce prix littéraire est donc née ce soir-là et il a fallu le baptiser. L’ambiance était particulièrement joyeuse et j’avais proposé au départ pour rire un ”prix loukoum” ou ”prix Baklawa”.
C’est ensuite par affection pour les écrits de Farouk Mardam Bey que j’ai choisi de nommer le prix Ziryab. L’histoire de cet homme de Mésopotamie musicien esthète et gastronome que Farouk raconte si joliment à travers ses articles dans la revue Qantara de l’Institut du Monde Arabe et ses livres me faisaient faire de fabuleux voyages dans l’histoire et dans la gastronomie culture. J’optais donc pour l’appellation prix littéraire ‘Ziryab’.
Que promet l’édition 2024 de ce prix ?
Pour fêter joyeusement ces dix ans d’aventures gourmandes, une journée littéraire et gastronomique s’imposait.
Grâce à l’esprit d’ouverture et de partage de Rachida Dati, ministre de la culture et la coopération active et impliquée de la magnifique équipe de la mairie du 7ème arrondissement à Paris, nous organisons une série de tables rondes avec des sujets très variés.
Nous parlerons ainsi de patrimoine culinaire, de cuisine de consolation, de Zaatar et de thé en Méditerranée.
Luana et Alessandro Belmondo parleront de leur cuisine italienne familiale.
Mes ouvrages parlant tous de transmission il était normal de laisser au sujet une place importante dans ces tables rondes.
Pour accompagner les conférenciers une série de stands mettrons à l’honneur artisanat de bouche et artisanat tout court.
J’ai choisi exprès la date du 22 Novembre pour sa symbolique fédératrice : le ‘Koulouna’ prend sens puisque les artisans viennent de tous les horizons. Nous aurons ainsi Levanthym avec Sarah Kanj et ses fabuleux produits mélasse de Grenade, Zaatar, sumac et eaux florales.
Le musée de Saida représenté par Christiane Audi avec verres soufflés et serviettes brodées
Joumana Uhlemann qui nous accompagne depuis des années puisque le trophée Ziryab est réalisé dans ses ateliers. Les laiteries de la Beqaa avec Rami Mimassi. La maison Sibon avec sa variété de délices.
Et bien sûr un stand pour “ Les petits soleils ”pour que le partage soit encore plus chaleureux.
Qui sont les lauréats ?
Cette année la délibération a été âpre et le jury exquis d’implication et de ferveur avec à l’arrivée deux merveilles :
Prix littéraire Ziryab 2024
1/ ‘La Foi, La Fourche et la Fourchette’ aux éditions Hachette cuisine de Dorothée Perkins et Perrine Bulgheroni.
Le livre est fabuleux et décrit la vie au monastère de Solan dans le Gard en France où les sœurs de la communauté orthodoxe arrivées il y a quelques années du Levant, d’Alep plus précisément, invitent à travers leur mode de vie à une belle réflexion. Elles sont installées en France mais également à Kaftoun dans l’arrière-pays de Batroun au Liban. J’ai été à leur rencontre début septembre et ai goûté à la sérénité des lieux et aux délices de leur table.
Au-delà de sa dimension littéraire ” La Foi, la Fourche et la Fourchette” interroge nos modes de vie, notre rapport à la nature et à l’alimentation.
La sobriété heureuse se révèle ici dans toute sa beauté et sa simplicité.
Cet ouvrage, remarquablement écrit sous forme d’un legs des secrets du monastère, se veut une invitation à découvrir la pratique de la réjouissance, à comprendre la joie dans la simplicité et la sobriété et à se laisser guider par les enseignements de cette communauté inspirante. La douceur de Dorothée Perkins qui porte le livre fait très joliment écho à ses écrits.
À travers les pages du livre et de cette expérience immersive au couvent le mot “Hamdellah ”prend ainsi tout son sens !
2/ Le prix Ziryab coup de cœur découverte 2024 va quant à lui à Emmanuelle Jary et au travail extraordinaire qu’elle réalise depuis des années pour la gastronomie culture. Défendre la presse gastronomique écrite qui se bat tous les jours et la mettre en lumière me semblait une bonne idée à une époque où le numérique est partout. J’ai soumis donc l’idée au jury qui a voté à l’unanimité.
La revue gastronomique ‘C’est meilleur quand c’est bon’ pilotée par Emmanuelle aborde à la fois des sujets de fond, une réflexion sociologique et garde un côté ludique et gourmand indispensable lorsque l’on parle de cuisine.
Diplômée d’Anthropologie de l’alimentation, Emmanuelle est journaliste cinéaste et auteur. Elle se démène avec une très belle équipe pour dénicher adresses et talents. Formidable tout simplement.
Devant cette nouvelle vague de départ, notamment des jeunes, du Liban, que voudriez-vous leur dire pour atténuer leur déracinement ?
De continuer à vivre leur pays partout où ils sont. Et pour cela quoi de meilleur façon que la cuisine ? Goûter à une bonne manouche remet dans les matins gris parisiens la tête dans l’axe, cuisiner avec des copains d’université et se faire chacun à sa façon un ambassadeur de cette terre de miel et de lait qui a vu défiler depuis 50 ans toutes les guerres et tous les conflits et qui tient bon avec une manouche inscrite aujourd’hui au patrimoine immatériel de l’Unesco.
La cuisine c’est de l’amour : celui qui nous a était transmis et celui que l’on transmet à notre tour. Reproduire des recettes de cuisine libanaises partout dans le monde c’est faire honneur à notre pays, en parler et le transmettre ainsi en maintenant les traditions: mon sujet de prédilection.
Il n’est pas interdit de cuisiner en écoutant Feyrouz, Charbel Rouhana ou Marcel Khalifé.
Tout comme il n’est pas interdit de partager les repas en les assaisonnant de ‘Sahten’ et de ‘Habibi’
Yallah ! Une crise de plus à gérer pour le Liban mais les libanais j’espère ont compris cette fois la leçon : Pour faire nation il faut rassembler toutes les voix et s’unir avec une même ferveur et pour cela quoi de mieux qu’une belle table ?
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