Mes filles ont quitté le pays en trombe, comme tous ces gens qui comptaient passer les vacances chez leurs parents.
Elles sont venues, elles sont reparties, et l’air s’est vidé de la magie qu’elles avaient ramenée avec elles.
Lorsque nos enfants sont là, nos maisons portent un goût de sacré.
Les murs ne sont plus froids ni indifférents.
Le jardin devient un espace entièrement nécessaire et utile.
Ils y accueillent leurs amis et y déballent leurs petits.
Et les fleurs et les abeilles n’ont sûrement pas le même apparat lorsqu'ils sont là.
C’est là qu’on réalise qu’on construit des maisons, justes pour arriver à ce résultat.
C’est le but ultime d’une maison; ressentir la présence des enfants entre les murs, et les voir déambuler dans les allées fleuries du jardin.
Khalil Gibran nous avait raconté un jour que nos enfants n’étaient pas à nous.
Et nous le crûmes… Parce que n’avions pas d’enfants en ce temps-là.
Il nous avait expliqué qu’ils étaient les fils et les filles de l’appel à la vie et je ne sais pas quoi encore.
Mais alors pourquoi reviennent-ils donc chez nous à la moindre occasion ?
Et pourquoi à chaque fois qu’ils quittent, nous sentons que notre vie nous quitte avec eux?
Nous détournons évidemment la tête et nous essayons de nous distraire avec d’autres choses.
Mais juste pour essayer étouffer la sourde détresse qui se manifeste dans nos ventres.
Et dès qu’ils débarquent chez nous, et que leurs objets commencent à semer le bordel dans chaque pièce de la maison, nous réalisons qu’ils sont bel et bien nos enfants et que nous sommes bel et bien leurs parents.
Nous nous appartenons.
Cher Gebran, je te prie de m’excuser, mais nos enfants sont bien à nous, et nous sommes aussi bien à eux.
Ils appartiennent à notre air et aux murs de nos maisons.
Sans eux nos vies deviendraient froides et sans âme.
Lorsqu'ils sont là, nous nous levons les matins pour découvrir leurs petits dans nos salons.
Nous essayons de les intéresser pour qu’ils viennent grimper dans nos bras.
Nos maisons ne sont vraiment vivantes que durant leur présence.
Et nos maisons sont pour eux des usines de souvenirs…
Et j’en détiens la preuve irréfutable ;
Durant ce dernier séjour, un matin Michael mon petit-fils de 5 ans vint à moi.
Je lui proposai de nous promener ensemble au jardin.
Il m’apprit que nous allions descendre à l’arrière jardin visiter les poules.
Évidemment, je me pliai à ses désirs.
Au début, je commençai à marcher à côté de lui en lui tenant la main, mais vite après j’étais en train de le suivre pour qu’il me montrât le chemin.
Je le suivis ainsi à travers la terrasse d’oliviers et jusqu’au poulailler que je ne visite à peu près jamais.
Je découvris que, pour lui, le poulailler était une destination.
Il y va tous les jours avec les enfants de Hamid le gardien, qui sont ses meilleurs amis.
Chez eux il fait sa sieste par terre tous les jours après le déjeuner.
Arrivé au poulailler, il écarte une grosse pierre qui bloque le portail et la met soigneusement de côté.
Et en même temps il m'explique ce qu'il faut faire...
Il ouvre la porte en grillage et rentre dans le poulailler sous les gloussements et les caquetages des poules en panique, leur faisant comprendre sans ambages qu’il est ici le véritable maître des lieux.
Même les coqs fiers et vaniteux s’éclipsaient à sa vue.
Et moi je le suis dans son aventure.
J’étais sidéré par son assurance et sa prestance.
Il cherchait les œufs.
Il en trouva un qui était facile à prendre.
La poule qui le gardait s’enfuit sans montrer trop de remords.
Il se dirigea ensuite vers une autre poule bien installée sur son œuf.
Il me regarda, pensif, pour m’expliquer les données du problème ; il fallait qu’on trouve une solution pour faire partir la poule et recueillir l’œuf.
Il s’adressa d'abord à la poule. ‘ Poule ! donne-moi ton œuf. ’
Il tendit la main vers elle, elle lui caqueta nerveusement son refus catégorique.
Il fallait qu’il trouve un autre stratagème pour arriver à ses fins.
Je lui dis ; laisse-là tranquille, ce n’est pas grave tu as eu un œuf tu reviendras plus tard.
Mes paroles n'eurent pas plus d'effet sur ses oreilles qu’un bourdonnement de mouches.
Il était résolu à recueillir au moins encore un deuxième œuf pour son petit-déjeuner.
Il prit un bâton et l’introduisit soigneusement dans l’ouverture du nid de la poule récalcitrante, faisant attention de ne pas lui faire mal, mais lui signifiant avec résolution de sortir.
Celle-ci s’exécuta finalement , et Michael, triomphant, prit le second œuf dans sa main.
Il sortit du poulailler en s’assurant de remettre la pierre à sa place pour bloquer le portail.
Je découvris ce jour-là que la maison avait beaucoup de significations pour lui.
Il y avait établi ses territoires et y avait développé ses propres habitudes.
Le jour où il devait quitter avec ses parents, il devint triste et mécontent.
Et à partir de ce moment, je suis devenu le gardien de sa maison, de ses poules et de son territoire.
Le matin lorsque je sors me promener dans le jardin, je ne le regarde plus de la même manière.
La maison n’est plus à moi tout seul.
Elle est devenue aussi celle de Michael.
Lorsque les enfants s’en vont, la tristesse envahit la maison, et celle-ci retombe en désuétude.
Je parcoure les allées, et tout semble identique.
Mais rien n’est identique.
La magie a quitté les allées qu’elle avait envahies.
On dit que partir c’est mourir un peu.
Et c’est vrai que chaque départ laisse en nous le goût amer d’une disparition.
Mais chaque retrouvaille porte aussi le goût merveilleux d'une renaissance…
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