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Sixième édition réussie pour les Musicales du Liban à Paris

01/12/2024|Zeina Saleh Kayali

Ce festival qui s’est donné pour mission de faire connaître la musique savante libanaise s’est déroulé, pour sa saison d’automne, sur trois dimanches du mois de novembre en la Cathédrale Notre-Dame du Liban à Paris. C’est en outre un festival solidaire qui remet chaque année la totalité de sa recette à une cause libanaise. Cette année il s’agissait de l’APEG (Association pour la Protection de l’Enfant de la guerre) qui offre une aide précieuse et un soutien indispensable aux enfants traumatisés par la guerre et la violence.


Le premier concert avait pour thème un hommage au poète Said Akl (1911-2014) dont on commémore les dix ans de la disparition. Une série d’œuvres vocales dont les textes étaient de Saïd Akl en constituait le programme. La première partie est consacrée à la mélodie, avec Georges Daccache, éminent spécialiste de la musique savante libanaise pour piano ainsi que de la musique de chambre, et Marie-José Matar, soprano dont la voix cristalline et lumineuse projette le texte avec une extraordinaire clarté et une précision à toute épreuve. Le concert s’ouvre sur une œuvre de Wadia Sabra (1876-1952), père fondateur de la musique savante libanaise, intitulée Quoi ? tout est fini ? Puis l’on enchaîne dans un style radicalement différent avec Wajdi Abou Diab (né en 1991) auquel le festival a commandé une œuvre pour l’occasion et dont la création mondiale se déroule ce jour-là. Il s’agit de Les Quintils de la jeunesse, cinq petites miniatures où le pianiste et la chanteuse se donnent la réplique parfois ensemble, ou en alternance, dans un langage musical qui part de la tradition, pour la déconstruire afin de mieux la reconstruire. La troisième pièce de cette première partie est doublement originale. Tout d’abord parce qu’elle est l’œuvre d’une compositrice (ce n’est pas si courant !) et ensuite parce qu’elle met en musique un texte en français de Said Akl. Nuit, extrait du cycle l’Or des poèmes est mis en musique par Rita Ghosn (née en 1963), dont le festival avait déjà programmé le Concertino pour deux pianos lors de sa première édition. Cette compositrice que l’on n’entend hélas pas souvent a été l’élève de Pierre-Petit et son langage musical d’une grande élégance s’apparente à l’impressionnisme. La deuxième partie du concert est une cantate profane, Fakhreddin II, du compositeur Iyad Kanaan (né en 1971) sur un livret de Saïd Akl. Et là, grande nouveauté, le festival s’est doté d’un chœur. Sous la direction de Fadi Khalil qui l’a fondé et qui le dirige, cet ensemble formé d’une vingtaine de jeunes chanteurs libanais, réussit la gageure grâce à son chef, en à peine quelques semaines, de préparer l’œuvre qui présente des difficultés et de la donner par cœur (difficulté supplémentaire) pour la plus grande joie du public). Les voix sont belles, l’homogénéité parfaite, la direction précise et sensible. Côté soliste, on retrouve la soprano Marie-José Matar qui dialogue avec le chœur dans un mélange de pureté, de mélancolie et de fougue. Toujours aussi lumineuse. Georges Daccache est au piano. Sur ce concert il n’aura pas quitté une seconde son clavier. Et l’œuvre présente d’immenses difficultés techniques pianistiques. Chapeau l’artiste.



Le deuxième concert est consacré à la musique de chambre et à deux immenses interprètes et compositeurs, Sary et Ayad Khalifé (violoncelle et piano). Les deux frères sont très heureux de cette participation car c’est la première fois qu’on leur demande un programme de musique classique libanaise, en miroir avec la musique occidentale. Le programme est composé de la Sonate de Boghos Gelalian (1922-2011), de la Romance de Toufic El Bacha (1924-2005), de deux mouvements de la Sonate en la mineur d’Edvard Grieg (1843-1907) et de deux œuvres de leur composition. Le point commun entre ces différents compositeurs est qu’ils ont été influencés par la musique européenne classique et ont « distillé des éléments du folklore de leur pays natal dans leur écriture musicale occidentale ». Ainsi dans l’œuvre de Grieg l’on retrouve des résonances du folklore norvégien, dans la Sonate de Gelalian l’influence arménienne et dans la Romance d’El Bacha, bien que l’écriture en soit totalement occidentale (il était lui-même violoncelliste), l’on ressent sur certains intervalles ou modulations, l’influence orientale. « Pour cette dernière œuvre il serait plus juste de parler de « sensibilité » orientale plutôt que d’influence, car cela reste très discret » disent les frères Khalifé. Pour ce qui est de leurs compositions Sary et Ayad Khalifé donnent à entendre une Prière qui bouleverse le public et, en apothéose la Danse levantine, commande du festival et donnée en création mondiale. Cette pièce superbe, pétillante et joyeuse enchante l’assistance et la met en joie. Passionnés de musique de chambre, les frères Khalifé sont des musiciens complets. Leur virtuosité alliée à leur complicité témoigne d’une entente profonde, mâtinée de poésie, d’une sensibilité et d’une respiration dans le trait musical, qui font de leurs interventions des moments de pur enchantement.



Le troisième concert intitulée Voix sacrée du Liban est consacrée à la musique religieuse. Les interprètes en sont Georges Daccache à l’orgue (oui il est aussi organiste !) et les chantres Lena Farah et Salam Geha, tous deux spécialistes du chant syro-maronite et qui ont reçu leur formation du père Louis Hage (1938-2010), l’un des compositeurs au programme du concert et fondateur de la première faculté de musicologie au Moyen-Orient. Les œuvres au programme se présentent comme un florilège du patrimoine musical libanais sacré des 20e et 21e siècles, répertoire ancestral qui a été revisité par des grands noms de la composition de musique sacrée contemporaine, chaque compositeur y imprimant sa propre particularité. Il s’agit du père Louis Hage déjà cité, du père Boulos Achkar (1881-1962), pionnier de la notation musicale sur ce répertoire, du père Youssef Achkar (1937-2020) dont les mélodies très populaires ont fait les beaux jours de la chaîne de télévision Télélumière. Mais aussi du père Youssef El Khoury (1920-2009) qui a introduit la polyphonie dans ce répertoire monodique et qui fut directeur du Conservatoire, du père Elie Kesrouani (1949-2023) grand spécialiste du chant syriaque, inspiré par le répertoire arabo-oriental (mouachahat) et premier à avoir noté le répertoire syriaque dans son ensemble (orthodoxe, chaldéen etc), du père Khalil Rahmé (né en 1963),  fondateur du chœur NDU et qui a travaillé sur la polyphonie tout en alliant l’écriture occidentale à son âme maronite, de Ziad Rahbani (né en 1956) fils de la grande Feyrouz que l’on attend pas forcément dans ce répertoire mais qui a écrit des mélodies sacrées restées très célèbres et du père Milad Tarabay (né en 1968), Doyen de la faculté de musique de l’USEK et dont l’œuvre s’inspire de la tradition des premiers chants de l’église avec une touche arabo orientale. Les pièces s’enchainent avec une souplesse et une douceur qui laisse le public pantois. Pas un son, pas un bruit dans l’église bondée. Le recueillement est à son comble. Les interprètes sont au service du texte et du chant et ne cherchent pas, par de quelconques effets, à se mettre eux-mêmes en valeur. Tout coule de source, spiritualité et beauté sont au rendez-vous. Et comme le précise Georges Daccache à la fin du concert trois de ces compositeurs, les père Boulos Achkar, Youssef Khoury et Louis Hage ont, à des époques différentes, dirigé le chœur de la Cathédrale Notre-Dame du Liban à Paris, qui est aujourd’hui dirigé par Georges lui-même (oui il est aussi chef de chœur !). A la sortie de ce dernier concert, une dame (française) s’exclame : « c’était planant ! ». Tout est dit.

Le succès des trois concerts et le fait que la musique classique libanaise commence à entrer dans les cœurs et dans les esprits, encourage les organisateurs à continuer leurs efforts. Rendez-vous dans quelques mois pour l’édition du printemps des Musicales du Liban.


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