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Sœur Marana Saad et l’amour de la beauté (Philokalia)

04/03/2025|Zeina Saleh Kayali

Infatigable, Sœur Marana Saad est sur tous les fronts musicaux et culturels. Son institut, Philokalia, situé à Aintoura, est devenu en quelques années le rendez-vous incontournable de l’art, de la musique, de la littérature, en somme un carrefour de la création comme il n’en existe pas au Liban. Mais ce projet est en fait l’aboutissement d’une intense réflexion qui vient du tréfonds de l’âme et du cœur. Sœur Marana raconte à l’Agenda culturel.

 

Vous êtes vous-même compositrice et chanteuse. Comment a débuté votre parcours musical ?

La musique commence dès le premier battement de notre cœur dans le sein maternel. Elle vibre en nous avant même que nous ne puissions l’entendre consciemment. Dans mon cas, elle était omniprésente dès mon enfance, portée par une famille où la musique était une seconde nature. Mon père, doté d’une voix magnifique, nous enseignait le chant, notamment à travers le répertoire sacré maronite et les mélodies profanes. Il jouait de l’accordéon et organisait chaque semaine des soirées musicales où se mêlaient chants, compositions et moments de partage autour du pain et du vin.
Un jour, il demanda à un ami compositeur d’écrire une chanson pour moi, intitulée Samak (Poissons). J’étais si fière de la chanter, sentant pour la première fois ce lien intime entre la musique et l’âme. Ces souvenirs, gravés dans mon cœur, me rappellent que la musique est à la fois vie et bonheur, nostalgie et amour.

 

Vous avez alors commencé un véritable cursus musical ?

Oui, très tôt, j’ai intégré la chorale de ma paroisse tout en explorant d’autres formes d’art : la danse, le théâtre, les scouts… où, d’une manière ou d’une autre, la musique était toujours présente. Je l’écoutais partout : dans le parfum de l’encens à l’église, dans les voix des fidèles, et surtout dans les mélodies de Fairouz, que j’entendais des heures durant, bercée par les échos du patrimoine libanais, français et anglais. Cette passion m’a poussée à approfondir mes connaissances et à étudier la musique à l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK). J’ai commencé par la flûte traversière, tout en étudiant la théorie musicale et le solfège. Mais c’est à l’âge de 20 ans, confrontée aux grandes questions de la vie, que j’ai entendu un appel intérieur, celui du Christ. En 1997, j’ai quitté Byblos pour entrer dans l’Ordre des Moniales Libanaises Maronites, sans savoir que cet appel serait aussi un appel artistique et musical, destiné à élever l’âme et à toucher les cœurs.

 

Dès votre entrée dans la vie monastique vous avez commencé à enseigner la musique ?

En effet, les novices et les moniales étaient mes premières élèves. Je souhaitais partager ce que j’avais appris tout en m’efforçant d’approfondir mes propres compétences. Un jour, la Supérieure Générale me demanda de suivre des formations en direction chorale avec le P. Miled Tarabay. Ce fut une révélation : j’ai découvert la puissance du chant choral et la beauté de la transmission musicale. J’ai dirigé la chorale des moniales pendant plus de deux ans avant de ressentir le désir de fonder un chœur pour enfants, en hommage à Sainte Rafqa qui leur portait une affection particulière. Parallèlement, j’ai poursuivi ma spécialisation en musicologie à l’USEK.

 

Vous êtes alors partie pour Rome afin d’effectuer votre doctorat en théologie ?
Oui et malgré mon engagement dans l’étude et la recherche, je ne pouvais me détacher de la musique. J’ai obtenu l’autorisation de suivre des cours de direction chorale à l’Institut Pontifical de Musique Sacrée sous la direction du Maestro Walter Marzilli. Cette immersion dans le répertoire classique et sacré italien m’a permis de toucher à l’essence même de la musique : un dialogue entre l’histoire, l’art et l’amour.

 

Vous avez partagé votre tradition musicale libanaise avec vos collègues ?

Bien que loin de mon pays, mon cœur battait toujours pour le Liban. Et j’ai partagé avec mes collègues les chants sacrés et traditionnels de mon enfance, fascinant mes confrères par la richesse des modes orientaux et l’authenticité de ces sonorités ancestrales. Après mon doctorat en théologie, j’ai entamé un second doctorat en musicologie sur la chorale et ses contributions éducatives, thérapeutiques et sociales.

 

Qu’avez-vous fait, de retour au Liban ?

J’ai fondé la Chorale Sainte Rafqa pour adultes et enfants, ainsi que l'Institut de Musique Sainte Rafqa. Ce fut une véritable aventure humaine et artistique, où j’ai découvert combien la musique transcende les frontières et unit les âmes.


Comment a débuté « l’aventure » Philokalia ?

C’est au cours d’une retraite spirituelle à Paris en 2018 que Philokalia est née. En lisant 40 jours avec les Pères du Désert, j’ai été frappée par cette notion de Philokalia – l’amour de la beauté, cette beauté divine qui éclaire le monde.
Sur les conseils d’une religieuse Xavière qui s’appelle Marie Guillet, j’ai rencontré sa Béatitude le Patriarche Mar Bechara Boutros Rai pour discerner si ce projet correspondait véritablement à la volonté de Dieu. Convaincu de sa nécessité, il l’a pris sous son aile et m’a encouragée à le concrétiser. En 2019, Philokalia a été reconnue officiellement par l’État, et en 2021, nous avons établi notre siège dans le Monastère de la Visitation, datant de 1744. Ce lieu, autrefois monastère cloîtré et première école de filles de la région, est devenu un sanctuaire pour la création artistique et spirituelle. Depuis, Philokalia est devenue une organisation et un Institut qui mettent l’art au service de la mission de l’Église.

 

Quels sont les objectifs de Philokalia ?

Mettre en valeur l’art dans toutes ses dimensions, encourager les jeunes et les talentueux à la production artistique et culturelle, stimuler la coopération entre les artistes de toutes les nations, régions, et cultures, améliorer leur position économique et sociale aux niveaux national et international, défendre leurs droits matériels et moraux, conserver et mettre en valeur le patrimoine syriaque et libanais à travers les projets artistiques, la littérature et la musique.


Comment Philokalia offre aux artistes et aux artisans les bonnes conditions de création ?

A travers des séminaires, des expositions, des compétitions, tout en initiant les enfants aux différentes pratiques artistiques à travers des programmes spécifiques. Philokalia travaille afin que l’éducation artistique soit reconnue comme un droit à tout homme.

 

Quelles sont les principales initiatives de l’institution ?

La Chorale Philokalia, qui réunit adultes et enfants et joue un rôle fondamental dans la diffusion du chant sacré, la production de nouvelles compositions et la transmission d’un héritage musical vivant. Elle représente une véritable école d’éducation artistique et spirituelle.
En parallèle, Philokalia a développé des ensembles professionnels comme Hymnos, dédié au chant classique, et l’Ensemble Ashtar, qui explore le répertoire oriental et mystique, redonnant vie aux traditions musicales ancestrales. Ces ensembles permettent une recherche approfondie sur l’harmonie entre modernité et patrimoine musical, tout en promouvant une excellence artistique au service du sacré.

 

Vous avez également créé le « Salon littéraire Philokalia » ?

Oui et c’est un espace de réflexion et de transmission dédié à la préservation du patrimoine, en particulier libanais. Ce salon joue un rôle éducatif en rassemblant écrivains, poètes et penseurs pour valoriser la richesse culturelle de notre pays. À travers des conférences, des lectures et des discussions, il s’attache à préserver et faire rayonner la littérature et la pensée, tout en établissant un dialogue fécond entre la tradition et la modernité.


Comment percevez-vous l’importance de la musique ?

La musique est bien plus qu’un art. Elle est un langage universel, un voyage intérieur et collectif qui unit les âmes. Elle transcende les barrières culturelles et sociales, offrant à chacun la possibilité de se découvrir, de guérir, d’élever son esprit. Elle est un espace où les enfants rêvent et se réalisent, où les adultes trouvent un refuge, où la société se construit et s’épanouit. Elle est une prière sans mots, une célébration de la vie et un écho de notre humanité.
Je crois profondément que la musique révèle l’image du Créateur en nous. Elle nous façonne, nous inspire et nous guide vers une version plus grande et plus belle de nous-mêmes.

  
Quels sont vos souhaits et aspirations ?

Mon rêve est de voir Philokalia continuer à grandir, à offrir des espaces de création, de formation et d’expression aux artistes et passionnés de tous horizons. À travers Philokalia, nous voulons transmettre aux générations futures un enseignement structuré en musique, arts plastiques, théâtre, danse, culture et même art culinaire. Chaque forme d’art est une voie vers la transcendance et la beauté. Mon souhait le plus profond est que chaque personne qui franchit nos portes découvre en elle-même cette étincelle divine, ce don unique qui l’appelle à rayonner. Que la musique et l’art continuent d’être des instruments de paix, d’unité et de transformation intérieure.
Parce qu’au fond, Philokalia, c’est cela : l’amour de la beauté, au service du Divin et de l’humanité.



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