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Avec « Le Chemin de croix » de F. Liszt, le Festival du Bustan coche un niveau d’excellence jamais égalé

17/03/2025|Gisèle Kayata Eid

Une soirée musicale et spirituelle exceptionnelle introduite par la présidente du Festival, Mme Laura Boustany Lahoud qui, sobre et élégante comme à l’accoutumée, a accueilli chaleureusement les personnalités et très nombreux amis venus écouter la partition Via Crucis, S53 de Franz Liszt… Sauf que les présents ne savaient pas que c’était bien plus qu’un concert qui les attendait.

 

En effet, c’est à une cérémonie d’une intensité rare que le parterre a été convié. Dans une symbiose totale, tous habillés de noir, les artistes ont combiné leurs talents pour nous faire revivre cette commémoration dans une ambiance de respect et de dévotion qui a bien outrepassé l’écoute musicale.

 

Les lumières de l’église St Joseph étaient plutôt tamisées, les voix graves. En guise d’introduction, le piano égrène quelques notes… Le recueillement s’impose d’emblée.

Les stations du Chemin de croix se sont suivies alors, annoncées par la voix posée de Soumaya Baalbaki et qui commencent par la condamnation à mort de Jésus. L’annonce fait marteler vigoureusement les touches du piano de Abdel Rahman el Bacha. La voix du Baryton Gabriel Alonso rentre comme pour livrer la sentence. À la deuxième, représentant Jésus qui porte sa croix, les trémolos du clavier ouvrent la marche. La lente procession avance avec les voix, tandis que le piano se fait modeste. À la troisième station, quand Jésus tombe, les voix des sopranos s’élèvent en guise d’oraison menée par la baguette ultra-sensible de Gianluca Marciano, alors que le piano s’appesantit sous les doigts du pianiste eux-mêmes alourdis par le poids. C’est avec beaucoup de douceur que la rencontre du Christ avec sa mère se fait à la quatrième station. Les notes et les voix sont tendres et tombent comme des perles dans le silence recueilli de l’assistance. Alors qu’à la cinquième station, quand Simon de Cyrène vient aider Jésus, elles sont clairsemées, lentes, comme difficiles à extraire du piano. Elles s’alignent, se répètent.  Abdel Rahman el Bacha nous fait véritablement sentir combien long est le chemin du Golgotha.

 



Le concert se poursuit alternant émotion, prière et beaucoup de silence. C’est ainsi qu’à la sixième station qui marque le geste de Sainte Véronique essuyant le visage du Christ, la chorale de Père Khalil Rahmé, sensible comme un seul corps (cœur ?) prend de l’ampleur traduisant la douleur du moment partagé. Jésus tombe pour la deuxième fois à la septième station et ici aussi on sent sa chute : le clavier prend de la vigueur, le chœur tonne avant de s’éteindre graduellement en une supplication de grâce. Quand, à la huitième station, Jésus rencontre les femmes de Jérusalem et que le piano s’anime comme pour raconter la rencontre et les paroles échangées, le baryton semble « parler » fort en place et lieu du Christ. Mais de nouveau quand Jésus s’effondre pour la troisième fois, à la neuvième station, les voix des sopranos résonnent douloureusement et le piano se fait silencieux, avant de sembler se déchiqueter en notes éparses quand, à la dixième station, Jésus est dépouillé de ses vêtements départagés entre ses quatre gardes.

 

L’instant où Jésus est cloué sur la croix, à la onzième station, résonne fort à la faveur du piano qui se déploie fortissimo et que la chorale gronde. 

 

Le brio de l’interprétation de l’ensemble et sa capacité à nous faire vivre cet évènement gagne encore en intensité quand Jésus meurt sur la croix à la douzième station. La ferveur est ressentie à la limite charnellement dès lors que le baryton perd sa voix progressivement, que le piano se refuse à jouer, que la chorale murmure, et que le silence tombe…. L’instant solennel est empreint de tant de tristesse qu’il empoigne le public. L’agonie prend tu temps avant d’être achevée et que l’effacement graduel des voix et des touches ne contamine jusqu’aux parois de l’église.

 

Moment de piété et d’abandon.

 

Puis, à la treizième station qui reproduit le moment où Jésus est descendu de la croix et qu’il est placé dans les bras de sa mère, le piano d’Abdel Rahman égrène lentement ses notes comme pour suivre la cadence funèbre des gestes. Au faîte de sa sensibilité, Abdel Rahman el Bacha déploie ici encore toute sa maîtrise du decrescendo.

 

Et comme un coup de théâtre, pour la station finale de la mise au tombeau du Christ, la croix dépouillée au-dessus de l’autel de l’église St Joseph à Monnot prend alors tout son sens et nous submerge par son intemporalité. L’apothéose irradie en un Amen répété, psalmodié, chanté tout en nuance, comme une ultime prière qui clôture une soirée inattendue, magique, comme offerte en mémoire d’Emile Boustany, mort tragiquement il y a 62 ans, ce même 15 mars.

Une expérience spirituelle sublime… 



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