« Crossroads » : rencontre d’artistes et croisée des regards à Station Beirut
15/04/2025|Mathilde Lamy de la Chapelle
Le 10 avril dernier, après deux reports successifs en 2023 et 2024, Station a enfin accueilli le groupe de jazz français OZMA pour présenter son photo-concert « Crossroads », où musique et images s’entremêlent dans un récit commun. Un format original, qui n’est pas étranger au groupe. Fondé en 2001, le quintette multiplie depuis une dizaine d’années les projets collaboratifs avec des artistes des quatre coins du monde, cherchant à mettre leurs compositions au service de l’image.
« Crossroads » est avant tout le récit de rencontres humaines, un « chassé-croisé » d’artistes réunissant leurs œuvres pour les faire dialoguer. Ces rencontres, c’est Stéphane Scharlé, batteur et leader du groupe, qui les a initiées en partant à la recherche de photographes de différents horizons, dont le travail raconte le pays d’origine. Cette quête a conduit le groupe à s’aventurer sur des chemins tous azimuts, de Marrakech à Beijing, en passant par Mumbai, afin de réunir le travail de cinq photographes : Leila Alaoui (Maroc), Arko Datto (Inde), Wang Fuchun (Chine), Rafs Mayet (Afrique du Sud) et Mike Zenari (Luxembourg). Présentées sous forme de séries, les œuvres de ces artistes sont autant de fenêtres ouvertes sur des réalités sociales multiples, faites de récits personnels, de cultures et de traditions.
Un hommage à Leila Alaoui
Ce n’est pas un hasard si « Crossroads » s’ouvre par le travail de Leila Alaoui, co-fondatrice de Station, brutalement disparue en 2016. Ses photographies, principalement des portraits, capturent la souffrance des migrants, eux aussi à la croisée des routes, entre Afrique subsaharienne, Maghreb et Europe. Un interstice du monde dans lequel ils semblent condamnés. Mais à travers l’objectif de Leila, ce carrefour devient un lieu de rencontre, un espace d’intimité qui abolit la distance entre le spectateur et les personnes photographiées.
Une expérience immersive, où la photographie prend vie
« Crossroads » est aussi le lieu de rencontre de deux arts, le jazz et la photographie. Deux langages artistiques distincts, mais complémentaires. Alors que l’image fige un instant, la musique l’étire, le prolonge, le met en mouvement. Le jazz d’OZMA ne se contente pas d’illustrer les photographies projetées, mais agit comme un second récit qui laisse toute sa place à l’interprétation et à l’imagination des musiciens.
Pour chaque série, le groupe explore des univers musicaux variés. Face aux clichés de Wang Fuchun, le « photographe du train », OZMA compose une musique légère, aux tonalités reggae. Une manière de mettre en relief le comique des situations capturées par l’artiste, naviguant de wagon en wagon pour saisir des instants de la vie quotidienne des passagers et l’ennui des longs trajets. Le schéma répétitif du morceau parfait l’illusion en imitant le roulement du train, et donne au spectateur l’impression de se trouver derrière la caméra. Le groupe change de registre pour accompagner l’œuvre d’Arko Datto, dont les photographies immortalisent des moments de fête à travers l’Inde. Le quintette joue cette fois avec les codes de la techno, une musique rapide et débridée qui rend compte du glissement dans l’europhorie et l’alcool.
C’est ainsi que, tout au long de la soirée, l’auditoire de Station a entendu OZMA naviguer avec virtuosité entre les styles musicaux. Un défi pour le groupe, mais aussi une opportunité immense : celle d’enrichir sa palette musicale au contact de l’œuvre des photographes. « C’est une manière de nous décentrer de notre musique, de nous mettre en danger, d’être toujours dans la création » confie Stéphane Scharlé. « Crossroads » est ainsi bien plus qu’un concert ou une exposition. C’est un espace de circulation entre les arts, d’enrichissement mutuel, où le regard et l’écoute du spectateur sont invités à dialoguer.
@ photographies de Ralph Abi Fadel
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