Nommé par un décret ministériel en avril 2018, Bassam Saba a pris les rênes du Conservatoire National Supérieur de Musique en octobre dernier, chargé de stimuler l’essor de ce vivier musical boiteux. Après trois mois, il a bien voulu prendre un moment dans son emploi du temps chargé pour parler à l’Agenda Culturel de son parcours international, revenir sur les premiers pas de son mandat et sur les mutations actuelles mais surtout dévoiler sa feuille de route pour la plus haute référence musicale du pays.
Conscient que le passage de relais doit se faire sans perdre l’expérience acquise au cours des dernières années, Bassam Saba succède à Walid Moussallem dont le mandat de quatre ans vient de prendre fin. La transmission du flambeau s’est faite en toute bienveillance. Mais qui est donc ce ‘bourreau de travail’ sur lequel tous les espoirs reposent ?
Issu d’une famille dans laquelle la musique est omniprésente, il commence à jouer ses premières notes au oud, à l’accordéon et au violon, à l’âge de 4 ans. Très tôt, le déclic s’est produit et a donné le coup de feu de départ à la quête de son identité musicale : « J’ai alors compris que ma vocation est de consacrer ma vie à la musique », signale Saba. Ayant pour ambition de devenir un virtuose du violon, le destin bien capricieux en a décidé autrement surtout avec l’éclatement de la guerre dite civile au Liban. Bagages faits, le jeune musicien voyage en France et rejoint le Conservatoire Municipal des Gobelins mais la roue qui tourne s’en mêle à bâtons rompus : il était déjà trop tard pour lui d’entamer une carrière de violoniste classique (il avait seize ans), on lui conseille plutôt la flute traversière. ‘‘C’était exactement le genre de conseil que je ne voulais pas entendre mais bon c’était comme ça’’, se remémore-t-il. C’est ainsi que le chemin de la conquête de son nouvel instrument a commencé sans pour autant l’empêcher d’approfondir sa connaissance et de maitriser, à la perfection, d’autres instruments. La malchance qui s’est acharné après lui, a fini par lui tourner le dos cédant, de ce fait, sa place au succès qui cherchait à se frayer un chemin dans sa vie. En effet, il rencontre Marcel Khalife, à Paris, avec qui il fonde l’ensemble Al Mayadeen dont le nom sera, quelques années plus tard, synonyme de grande notoriété. Le jeune multi-instrumentiste montait, à ce moment-là, sur scène avec son nay, sa flute, son violon et son oud. Quelques années plus tard, tel un pigeon voyageur, il quitte Paris et se dirige vers l’est, direction Moscou qui vient de lui attribuer une bourse d’étude et dans laquelle il obtiendra ses diplômes de musicien et son master en éducation musicale après avoir présenté sa thèse qui braque les projecteurs sur une étude comparative entre la flute et son ancêtre en bois le nay. Il ne lui manquait que son doctorat pour marquer avec brio l’achèvement de ce parcours de longue haleine et de dur labeur. Au master, comme au doctorat, les offres de bourse pleuvaient de partout : l’Italie, la Russie, le Japon mais également les Etats-Unis, ‘ce pays qui offre de grands horizons’ sur lesquels est tombé le choix du doctorant et plus précisément à l’Université Stony Brook. Par ailleurs, il a travaillé avec des artistes de grande renommée internationale tels que Sarah Brightman, Alicia Keys, Quincy Jones mais aussi Fairouz, Ziad Rahbani, Majida El Roumi, Kadhem el-Saher et Marcel Khalife. Après son grand succès outre-Atlantique, il décide de former son propre ensemble, le New York Arabic Orchestra, et de transmettre au monde sa vision musicale, une sorte de synthèse unique de ses diverses expériences : ‘‘J’avais une responsabilité envers cette culture musicale arabe classique que j’ai réussi à transmettre aux Etats-Unis grâce à deux grands musiciens-compositeurs influents et parmi les plus révolutionnaires de la musique arabe contemporaine, Dr. Ali Jihad Racy, professeur d’ethnomusicologie à l’UCLA, et Simon Shaheen, un grand virtuose incontournable du oud et du violon’’. A l’orchestre comme au Arab Music Retreat (dont Saba est l’un des organisateurs auprès de Shaheen et de Racy), un des plus grands séminaires annuels proposant un enseignement de musique arabe et regroupant les plus grands noms de la scène musicale internationale, la réussite mondiale était au rendez-vous.
Convaincu qu’il ‘‘n’existe aucune barrière, qu’elle soit physique ou intellectuelle, dans ce monde’’, Bassam Saba aborde un nouveau virage à Beyrouth en devenant le directeur du CNSM dans le but de transmettre son expertise et son expérience internationale à son pays : ‘‘A travers ce poste, j’ai senti que je peux faire une différence et changer la vision des libanais vis-à-vis de la musique arabe, d’une musique de restaurant et de divertissement en une musique savante prestigieuse’’, affirme-t-il. Le maestro libano-américain s’est fixé cet objectif dont tout le monde parle, depuis des années et des années, mais pour lequel personne n’a remué le petit doigt. Symbole même d’un vrai leader, il jouit d’une autorité nécessaire pour élaborer et bâtir un meilleur futur musical sans pour autant être autoritaire. Son ambition est de former des musiciens de haut niveau –élèves mais aussi professeurs– plutôt que de bâtir de nouvelles salles de concert sans pour autant cacher sa volonté de poursuivre le projet de construction d’un complexe musical à Dbayé financé par un don chinois : ‘‘La musique n’est pas figée, elle évolue et de ce fait c’est du devoir de tout musicien de poursuivre cette évolution. Je ferai de telle sorte à assurer des formations continues à tous les professeurs’’. Les résultats du Conservatoire qui a enduré, pendant des années, les conséquences d’une guerre qui l’a dépeuplé de ses brillants professeurs, ne semblent pas satisfaire le nouveau directeur qui invite tout le monde à travailler, main dans main, afin de revivifier l’âge d’or de cet établissement. Concernant l’Orchestre Philharmonique du Liban, Bassam Saba affirme qu’ ‘‘il y a de quoi être fier du niveau de l’OPL et nous ferons de notre possible pour atteindre le niveau international’’ tout en précisant que de nouveaux répertoires de compositeurs contemporains et libanais seront joués dans les prochaines années. Et ce n’est pas tout, il pointe du doigt un des problèmes majeurs de cet orchestre qui est le nombre élevé de musiciens non libanais qui dépasse les 60% du nombre total en indiquant que ‘‘les programmes d’études seront révisés afin d’intégrer dans les cursus des instruments qui ne sont pas appris au Liban comme le cor et le basson, et c’est ainsi que nous formerons des musiciens libanais compétents capables de rejoindre l’OPL’’. Il ajoute, toutefois, que le conservatoire assumera dorénavant toutes ses responsabilités en propageant la culture musicale dans les écoles et les centres culturels car tout changement doit impérativement passer par les nouvelles générations. Quant à l’Orchestre Oriental du Liban, Saba promet un changement radical et ce dernier ne peut, selon lui, voir le jour qu’en portant l’apprentissage à un niveau supérieur et ceci en modifiant les manuels et les méthodes d’apprentissage.
Il conclut : ‘‘Je suis là pour transmettre tout mon savoir au Liban. Faites-moi confiance et je ferai de Beyrouth un carrefour musical incontournable dans le monde entier’’.
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