Jamais à court d’idées originales, surtout quand il s’agit de s’intéresser à d’autres cultures musicales, voici que Yasmina Sabbah, à la tête de son excellent chœur de l’USJ, nous revient avec l’African Sanctus de David Fanshawe.
Mais de quoi s’agit-il exactement ?
David Fanshawe (1942-2010) est un compositeur et ethnomusicologue britannique qui s’est intéressé aux musiques du monde, notamment africaines et à leur rapport à ce qu’il est convenu d’appeler « la grande musique ». C’est alors qu’il est sur une terrasse en Egypte et qu’il entend le chant du Muezzin qui se mélange au son des cloches d’une église voisine que Fanshawe conçoit l’idée de son œuvre où, à l’ordinaire de la messe, répondent prières et des chants traditionnels enregistrés dans des différentes régions qu’il a traversées (Kenya, Ouganda, Soudan, Egypte). Donc musique en direct et bandes son coexistent et s’imbriquent avec un bonheur extraordinaire, tandis que les percussions extrêmement présentes rythment inexorablement le déroulement de l’œuvre. Cette juxtaposition peut donner des résultats étonnants et la « greffe » s’avère extrêmement réussie.
African Sanctus se compose de treize mouvements. Le langage musical en est coloré, parfois atonal et toujours très rythmique. Syncopes contretemps foisonnent et le chœur sous la direction solaire de Yasmina Sabbah, s’empare de l’œuvre, l’intériorise et la restitue avec une joie manifeste, qui n’exclut absolument pas l’excellence technique. Sous cette apparente aisance qui donne presque l’impression que tout est facile et joyeux, se cachent des heures et des heures de travail acharné, de mise en place et d’interprétation pour venir à bout des difficultés rythmiques et vocales de l’œuvre.
Aux côtés du chœur un ensemble instrumental composé du trio The World Percussion Ensemble (Nacho Arimany Arturo Stable Mathias Künzli), de Vartan Agopian au piano, Raffi Mandalian, à la guitare, Makram Aboul Hosn, à la guitare basse, Christelle Njeim, aux timbales et Jean Gebran au son, arrive à créer un équilibre remarquable et proportionné entre la masse chorale et les instruments qui savent parfaitement doser leurs effets.
La vibrante soprano colorature belge Lisa Mostin, dont les interventions ponctuent la pièce, signe une interprétation incarnée et bouleversante. Elle est tout aussi convaincante quand elle s’envole vers les notes les plus aigues de la partition que quand elle empoigne le micro pour chanter, dans une tessiture grave, un Notre Père en forme de ballade.
Acuité, sobriété, intelligibilité, puissance contenue ou relâchée, surgissante et refluante, la direction de Yasmina Sabbah, attentive à chaque détail et à chaque pupitre, est toujours une transmission fervente.
Le public venu très nombreux adhère totalement à cette proposition nouvelle qui est véritablement celle de toutes les (heureuses) contradictions et se montre à la hauteur de l’enjeu. L’un des moments les plus émouvants et qui touche l’assemblée au cœur, est celui où une mélodie de Lucas Sakr en forme d’appel à la prière remarquablement chantée par Georges Noun, s’imbrique avec le Kyrie eleison du chœur.
Belle expérience musicale et humaine que cet African Sanctus qui démontre qu’en musique, le dialogue des cultures n’est jamais un vain mot.
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