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Une note de bleu dans la nuit de Beyrouth

15/12/2017|Nicole V.Hamouche

Certaines institutions ont du charme et le conservent. Ce n’est ni l’âge, ni le décor qui compte ; c’est l’esprit. Lui n’a pas changé, il est toujours passionné, libre, ouvert, accueillant… Le Blue Note, rue Makhoul derrière l’Université américaine de Beyrouth, célébrait ses trente ans le 4 décembre dernier avec musiciens, amis et médias. Les musiciens, habitués, étaient en verve ; ils jouaient un peu pour eux, entre amis. Le batteur Walid Tawil s’éclate, Alecco Habib retrouve Alecco’s, Charbel Rouhana s’essaie à de nouvelles gammes ; Issa Ghoraieb a le regard qui brille… Arthur Satyan, Avo Toutunjian, Hani Siblini, Abboud Saddi, etc., ils étaient tous là au rendez-vous, jazz men, batteur, saxophoniste, pianiste, guitariste, oudiste… tout à leur musique et à l’écoute les uns des autres. Soirée de feu ; les esprits sont joyeux, la musique est excellente, les convives sont conviviaux, et on picore et on picole, évidemment, un peu. Parmi cette faune toujours aussi prolixe et émouvante, on fait également la connaissance de nouveaux visages, ou plutôt de nouvelles voix, féminines, montantes, comme celles de Chantal Bitar et de Scarlett Monzer. 

Il est vrai que les photos accrochées au mur attestent d’une autre époque ; la patine des murs un peu écornée y participe. De grandes pointures du jazz américain comme Chico Freeman, John Hicks, Andrew Hill, Sonny Fortune, Eddy King sont venues jouer ici, dans les années 90, jusque 2005 environ. Ils sont plus rares les étrangers qui s’y produisent maintenant ; question économique sans doute, entre autres. Le Blue Note ne contient que 65 places et le pouvoir d’achat des Libanais est en berne depuis un certain nombre d’années déjà. Mais les goûts ont changé aussi ; le jazz est un goût qui se cultive… Les jeunes générations y seraient moins sensibles. Le maitre de céans Khaled Nazha s’adapte ; il s’est mis au goût du jour i.e. à l’oriental, prédominant maintenant en termes de programmation au Blue Note ; lequel fait la part belle notamment à Anas Sabah Fakhri, établi au Liban, le fils de Sabah Fakhri, le célèbre chanteur de musique traditionnelle alépine, et Chantal Bitar, minois et tenue occidentaux, chanteuse du tarab contemporain ; mais aussi à Aziza qui réveille tous les déhanchements.

La musique libanaise prend clairement son essor. Même s’il est plus difficile de ramener des artistes étrangers, il y a de quoi faire sur la scène locale, et pas qu’en oriental ; certains de nos musiciens s’exportent aussi : le batteur Pearl - un label très demandé - Walid Tawil, un des pionniers du Blue Note, est sollicité ici et là de par le monde, tout comme de plus jeunes artistes vont de plus en plus se frotter à d’autres publics et à leurs pairs sous d’autres cieux. La musique est une.

Ainsi, le Blue Note remplit-il, hormis sa fonction de lieu d’écoute musicale, sa plus noble fonction, celle de découvreur et de promoteur de talents, chanteurs et musiciens, de toutes générations et de tous horizons ; et celle de lieu de rencontres, voire de retrouvailles. Pour les âmes en quête de plus de connexion, avec son coté intimiste qui n’est pas le fort de l’époque, la survivance d’un tel repaire avec l’ardoise et la craie blanche, fait du bien. Les plats du jour à 17.000 LL qui y sont inscrits font aussi du bien. Il y a encore un peu de chaud et une suspension du temps dans les petites boites à musique comme le Blue Note, dans une époque de métal et de consommation massive et rapide. Car la musique est au-delà du temps. ’’Orphée sait que la musique s’élève quand le langage se tait enfin’’ *. 

* Charles Pépin, philosophe 
 

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