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Des images qui s'incrustent…

06/11/2024|Ramzi Salman

Certaines images lorsqu’elles surgissent devant nos yeux, restent gravées dans notre tête pour la vie. Elles demeurent vivides et deviennent un peu une partie de qui nous sommes.


L’image d’un lieu ou d’un détail qui nous a particulièrement touchés, vient s’incruster sur notre mémoire et devient un bagage que nous trimballons dans notre esprit partout où on va, et devient en quelque sorte, un des points de repère de notre esprit.


Souvent, ces images sont des ambiances plutôt que de simples images.


Et nous essayons de les recréer d’une manière ou d’une autre à l’intérieur de nos propres vies.


Je citerai deux de ces images qui m’ont marquées et qui me reviennent souvent. Et bien qu’elles appartiennent à des contextes très différents, elles provoquent chez moi une même émotion.


En dehors de leur apparence harmonieuse, il émane d’elles une beauté plus profonde, car elles portent un sens qui dépasse la simple dimension esthétique.


La première de ces images, je l’apercevais à chaque fois que je traversais la montée Akkaoui dans le sens ascendant; c’était le balcon du restaurant ‘Au Vieux Quartier’, fleuron de la restauration libanaise où les Beyrouthins allaient déjeuner ou dîner.


Ce balcon pittoresque était comme accroché au coin d’une façade des années 30 ou 40.


Son emplacement stratégique surplombant la rue, le fait qu’il fût seul et distinct sur cette façade, sa balustrade en fer forgé, ses géraniums, et tous les traits qui composaient son image, le transformèrent dans ma tête en un des symboles de Beyrouth.


Je ne suis pas sûr que ma description de ses éléments soit entièrement exacte, mais ce n’est pas grave, car ma mémoire a reconstitué l’image à sa manière.


Et un jour, on démolit l’immeuble et sa belle façade, et on balaya cette image exceptionnelle de la mémoire collective, pour ériger à sa place un immeuble bête et insignifiant.


On réalise ainsi qu’un pays pourrit lorsqu’il efface ses propres trésors.


L’autre image qui m’avait fait rêver lorsqu’elle avait surgi devant mes yeux, était un jardin différent de tous les jardins de la montagne Libanaise.


Le jardin de la maison de Audi à Fakra ; c’est simplement un bosquet d’érables élancés en hauteur et planté sur une pelouse légèrement sinueuse, ce jardin était d’une élégance et d’une simplicité rares.


Le fait qu’il fut entièrement ouvert à la rue, rendait tout le lieu accueillant et convivial à l’opposé de ces jardins que l’on voit emprisonnés derrière d’affreuses clôtures qui n’expriment que l’orgueil de leurs propriétaires et une courante xénophobie.


En m'informant sur ce jardin, j’appris qu’il avait été conçu par Renée El Khazen, la célèbre paysagiste qui confirmait une fois de plus son talent et son savoir-faire dans ce petit chef-d’œuvre.


Mais ce jardin reflétait aussi la personnalité du propriétaire, qui était un mécène réputé du raffinement.


Des années plus tard, après avoir découvert ce jardin étonnant, j’assistai à une exposition de photos artistiques, et je tombai sur une grande photo en noir et blanc de ces mêmes érables haut et élancés, cette fois au milieu de la neige prise par l’artiste photographe avec une perspective distordue et exagérée.


Je demandai à l’artiste d’où provenait sa photo, et il me répondit ‘c’est le jardin de Mr. Audi à Faqra.


Inutile de dire que j’acquis tout de suite la toile en question et je l’accrochai dans ma maison. Ainsi, cette magnifique scène est rentrée chez moi et je la vois tous les jours dans mon salon.


Et si un jour le hasard me conduisait à trouver une image ou une photo du balcon du ‘Vieux Quartier’, je courrai me l’approprier, pour renouer avec l’émotion demeurée en moi de l’image de ce balcon disparu…


Photo @Marc Chalhoub

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