Activiste pour la culture, Joëlle Hajjar a à l’origine une formation d’historienne de l’art. Écrivaine et médiatrice culturelle, elle rédige des articles, portraits d’artistes, contenus de catalogues d’expositions, des concepts, et elle monte des événements culturels. Conférencière en histoire de l’art à l’Université pour tous et collaboratrice dans l’équipe de Rony Araygi au ministère de la Culture pendant son mandat, elle a été en charge du contenu du pavillon du Liban à l’exposition universelle de Dubaï (Expo 2020), notamment la projection immersive de danse contemporaine Together We Walk réalisée avec la plate-forme socio-culturelle Yaraqa qui a eu un grand succès.
Vous êtes derrière le projet de la série de concerts "The Fabulous Series" qui se produit dans le cadre du Festival de Jounieh, au Casino du Liban le 28 juillet. Comment ce projet vous est venu à l’esprit?
Il s’agit en réalité d’un véritable partenariat entre trois entités distinctes. Le Festival de Jounieh, le Casino du Liban et Maestro Harout Fazlian avec qui je collabore. Ce projet est né de ma volonté d’apporter un soutien aux musiciens et artistes durement touchés par la crise sanitaire et anéantis par la crise économique. Il s’agissait de leur assurer un complément de revenus mensuels pour leur permettre de subsister en tant qu’artistes, en attendant des jours meilleurs; cela tout en leur permettant d’exercer leur métier dans la dignité. Afin d’y parvenir, il fallait leur créer des opportunités de se produire, c’est-à-dire monter des spectacles. Cela évidemment impliquait de trouver des fonds en ces temps difficiles où convaincre pour la culture est difficile devant les priorités alimentaires et médicales. Or, d’une part, je considère que la culture est une priorité absolue parce qu’elle prend en charge notre dimension humaine au-delà de notre dimension animale. Ensuite – et il ne faut pas l’oublier –, les artistes ont eux aussi des familles à nourrir et ils sont peut-être bien les seuls qui nous donnent une contrepartie à notre soutien, et quelle contrepartie! Avec leur art, ils nous donnent de l’espoir et nous élèvent spirituellement et intellectuellement.
Le partenariat a été construit de manière à rendre ce projet viable, c’est-à-dire trouver un moyen de partager les coûts de l’opération entre des acteurs qui y trouveront chacun un bénéfice. Pour le Casino, c’était un moyen de se repositionner là où il fut dans les années de gloire du Liban et redevenir un lieu de rendez-vous avec l’art et la culture, et non seulement avec le jeu et le divertissement. Il a donc mis à notre disposition sa Salle des ambassadeurs et tous ses équipements ainsi que son équipe de logistique pour la série de concerts.
Pour le Festival international de Jounieh, c’était une occasion de reprendre de l’activité après deux années d’arrêt, avec un projet qui met en avant les talents libanais et positionne la ville de Jounieh comme un hub de culture et d’art, puisque le Festival s’étendra dans un premier temps sur cinq mois, et nous l’espérons sur toute l’année. Aucun autre Festival ne propose une offre culturelle semblable, puisqu’en général, tout se concentre sur une ou deux semaines de l’année. Le Festival de Jounieh a aussi opté pour la gratuité des concerts, notamment la première saison, pour rendre accessible au plus grand nombre cette offre exceptionnelle. Il en finance donc la quasi-totalité. Quant au Maestro Fazlian, qui est en outre le chef d’orchestre principal du Philharmonique du Liban, il apporte sa créativité, son talent, son expérience pour offrir des spectacles d’exception ayant l’exigence et l’excellence pour fil conducteur. Il ne cesse d’ailleurs de répéter que le public libanais mérite un travail de qualité et c’est respecter son audience que d’être intransigeant avec cette même qualité. C’est donc un message de respect, de dignité et d’exigence face au délitement des institutions étatiques et des valeurs humaines.
Parlez-nous du Maestro Harout Fazlian et de son concept…
Comme je l’ai dit, Maestro Fazlian a toujours une approche que je qualifierais et qu’il qualifie de différente. Il répète préférer sacrifier, c’est-à-dire n’en pas faire plutôt que de céder au compromis et à la médiocrité. Cette série de concerts aura pour fil conducteur la présence d’un orchestre, mais sera vécue comme une expérience sensorielle totale puisque Maestro Fazlian associe des projections visuelles à la musique, et des interventions théâtrales et poétiques et littéraires. Il appartient à une famille d’artistes et a grandi entre une mère peintre et un père illustre metteur en scène, Berj Fazlian, à qui l’on doit toutes les pièces des Rahbani. Il a donc une approche totale de la scène qui invite à une synesthésie des sens et à une réelle expérience visuelle, musicale et émotionnelle.
Pourquoi avoir choisi le Festival de Jounieh en particulier?
J’ai considéré que le Festival de Jounieh serait le plus intéressé de revenir sur la scène publique avec un partenariat avec le Casino du Liban, pour des raisons de premier abord géographiques, mais aussi parce que sa présidente et son conseil d’administrationpartagent la même approche de fierté nationale et de désir de mettre en valeur leur région et leur pays. Cette collaboration se passe à merveille parce que nous sommes tous animés de la même bonne foi et du désir d’agir… que nous sommes tous désintéressés, sans recherche de bénéfice pécuniaire, d’ego ou de récupération politique. C’est le secteur privé qui vient au secours de la scène culturelle libanaise pour préserver l’identité culturelle le visage ouvert et créatif de notre pays. Je me dois de signaler la participation d’autres sponsors qui sont venus compléter les budgets ou parrainer entièrement certains concerts, en particulier la fondation Saadallah et Loubna el-Khalil qui a répondu directement à notre appel, ses fondateurs ayant une foi inébranlable en la nécessité de la culture et son rôle crucial dans la paix civile, en ce qu’elle lance des ponts entre les populations qui ne peuvent que se retrouver et parler la même langue, cette langue universelle qu’est la musique.
Est-ce le début d’une collaboration avec le Maestro qui verra naître d’autres concerts dans un futur proche?
Je collabore depuis deux ans maintenant avec Maestro Fazlian. C’est depuis un partenariat qui se nourrit d’affinités intellectuelles et de la même quête de perfection. Je considère qu’il est l’un des acteurs les plus intéressants de la scène musicale libanaise pour l’approche d’art total qu’il adopte dans son travail et sa volonté de toujours tenter de faire différemment et de manière plus créative, sans jamais céder à la facilité. Donc oui je souhaiterais que notre collaboration se poursuive même si pour cela, il faudra en créer les opportunités… Nous avons beaucoup d’idées dans nos bagages, certaines qui sont d’une ambition folle. J’espère trouver les moyens et les personnes qui y croiront pour les réaliser, l’important pour moi étant, avant toute autre considération, que l’art advienne.
Par Bélinda Ibrahim
Cet article a été originalement publié sur le site de Ici Beyrouth
ARTICLES SIMILAIRES
Petite messe solennelle de Rossini pour un grand concert réjouissant au Festival al Bustan
Gisèle Kayata Eid
20/03/2024
Laura Lahoud : « oui nous l’avons fait envers et contre tout »
Nelly Helou
20/03/2024
Riche saison hivernale à Beit Tabaris
Zeina Saleh Kayali
13/03/2024
Vernis Rouge : « Je suis fière de pouvoir représenter le Liban »
Garance Fontenette
07/03/2024
Abdel Rahman el Bacha en concert exceptionnel à Beyrouth
Gisèle Kayata Eid
03/03/2024
Mélodies françaises et libanaises par Marie-José Matar et Elie Sawma
Zeina Saleh Kayali
27/02/2024
De Kaslik à Erevan avec Betty Salkhanian et Georges Daccache
Zeina Saleh Kayali
25/02/2024
La musique : Un vecteur conducteur essentiel pour créer une véritable nation
Nelly Helou
20/02/2024
Orphée autrement avec La petite suite
Zeina Saleh Kayali
13/02/2024
Noémie Chemali et l’Opus 961
Zeina Saleh Kayali
07/02/2024