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La vie, de sursauts en explosions

28/10/2024|Dr Antoine Daher

Quoi de neuf ? La question n’a de cesse d’être martelée, bruitée, bourdonnant comme un drone israélien. Ici, toutes les minutes il y a un « neuf ». Ailleurs, il faut plus d’une décennie pour qu’un « neuf » arrive. Dans ce Liban livré à la barbarie made in USA, la vie va de sursaut en explosion, à la cadence des nouvelles et alertes du smartphone, à celle des immeubles qui s’écroulent au Sud et des enfants qui crient à Dahia parmi décombres et indifférence du monde… La respiration essoufflée du jour cède à l’insomnie de la nuit et à ses points d’interrogations. Quel quartier de Beyrouth flambera cette nuit ? Frappera-t-on la Bekaa ? Ou alors une nouvelle région sera-t-elle la cible de l’ogre déchainé ?


Le jour éclot. Il fait beau dans mon coin. Wadi Helsben à Kobayat. Vert et calme, pins et platanes, ombres et lumière qui jouent, à l’écart de la folie. À l’écart du monstre. Jusqu’à quand ?

On a beau s’arrêter devant ces instants de colère et de grande douleur, la vie ne s’arrête pas. Le soleil se lève toujours à l’est, les rayons doux et la clarté envoûtante. Les oiseaux du matin emplissent le registre audio de la vallée et occupent tous les décibels de mon heure café, parmi pins et platanes.

Suis-je vraiment, en ce moment précis, dans un pays en guerre ?! Je sirote mon café, il fait serein, les couleurs d’automne dansent à travers feuilles qui tombent et autres qui bougent au vent. Et dans mon smartphone, la guerre suit son chemin. La plus moderne des guerres, la plus technologique, c’est-à-dire la plus barbare, meurtrière et inhumaine. L’écureuil m’appelle du haut de son platane, les alertes du smartphone m’appellent aussi. On tue à sang froid au Sud, dans la Bekaa et dans la banlieue de Beyrouth. Tout est tuable. L’enfant qui joue. La maman qui prépare à manger. Le papa qui est sorti acheter des provisions. Le guerrier rentré revoir sa famille. L’olivier. La fleur. Le cours d’eau. La terre fertile. La vie. L’eau courante. Et l’électricité, déjà moins courante.


Entre vallée de paix et smartphone de guerre, le temps court à grande vitesse ce matin, c’est l’heure pour moi d’aller retrouver patients et vie hospitalière. Le paysage qui défile devant ma voiture est d’une beauté hautement impressionniste. Manet se serait arrêté à chaque tournant. Dans la radio, ce vulgaire personnage, porte-parole arrogant de l’armée israélienne, menace de démolir l’hôpital Al Sahel où passeraient en dessous, soi-disant, les galeries creusées par le Hezbollah ! Même si c’était vrai – et ça ne l’est pas – De quel droit tuerait-on malades, infirmières et médecins afin d’avancer vers son ennemi ?! Le droit devient en ce moment, tout sauf quelque chose de droit, me dis-je. Une chose que l’on peut tordre et essorer à volonté, quand on est le plus fort. J’imagine mon hôpital à Kobayat, bombardé ! Les patients sous les décombres, les infirmières blessées ! Le cauchemar.


J’entre dans l’hôpital, heureusement rien n’est cassé. Tout le monde se porte bien, même les patients les plus difficiles. Ouf, nous sommes encore loin des champs d’horreur. Mais cette horreur trouve quand même moyen de se faufiler jusque dans le cabinet de consultation. Le patient déplacé du Sud me raconte les péripéties de son épopée. Son village bombardé et rasé, il se sauve avec femme, enfants et la vieille maman. Quand il atteint enfin Beyrouth après seize heures d’embouteillage et de suffocation, la maman tombe par terre en sortant de voiture. Arrêt cardiaque. Massage et réanimation par l’équipe d’une ambulance se trouvant par chance à côté, la maman est sauvée et admise dans un hôpital non loin. Passant la nuit chez son frère habitant Laylaki, mon patient est obligé quelques heures plus tard, à quitter précipitamment, le quartier venant d’être violemment bombardé par les avions israéliens. Exode vers le nord jusqu’à Kobayat qu’il atteint ce matin avec une rétention vésicale, étant prostatique et s’étant retenu d’uriner pendant tout le déplacement, et sans aucune nouvelle de sa maman restée dans un hôpital à Beyrouth.


Je retrouve ma vallée paisible. Deux heures de répit à contempler comment le chêne pousse sans problème à côté du platane, sans que l’un veuille écraser l’autre. Et comment la fourmi s’entête à ramener dans son trou une écaille faisant quatre fois sa taille. Le smartphone me rappelle à l’ordre. Des journalistes morts au Sud, tués par l’armée israélienne. Harris, la candidate aux présidentielles américaines déclare qu’Israël a le droit à l’autodéfense. En attaquant sans cesse les civils ! L’autre candidat, Trump, lui réplique que c’est lui le vrai ami d’Israël. Les nouveaux nazis high-tech sont à tous les postes de commande du monde.


C’est l’heure de retrouver les amis du Conseil de l’environnement pour une activité qui dénote un peu : faire une tournée touristique aux déplacés de la guerre, résidant chez nous, histoire de faire revivre le sourire chez les enfants et l’espoir chez les plus grands. Non pas l’espoir de vaincre l’ennemi, mais plutôt celui de croire en l’homme et en l’humain qui sait transcender tout clivage. Et la journée se termine chez les déplacés autour d’un thé, des manakiches au zaatar préparés façon Sud, des chants et des rires. N’est-ce pas là notre plus grande arme, l’entêtement à toujours rebondir, et vivre ?

 


 

 

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