Le Pavillon Nuhad Es-Said pour la Culture : un nouveau souffle pour le Musée National de Beyrouth
07/11/2024|Marie Tomb
Photo by Caroline Tabet © The Nuhad Es-Said Pavilion for Culture
C'est un bâtiment solennel et convivial, moderne et ancré dans l'Histoire, qui s'inscrit dans la continuité du Musée National de Beyrouth et lui donne un coup de jeune. Le tout nouveau pavillon Nuhad Es-Said pour la Culture, poursuit l'aventure centenaire d'un lieu emblématique, dont il s'inspire des codes architecturaux jusqu'à utiliser sa la pierre de taille. Issu de la collaboration entre le Ministère de la Culture et la Fondation Nationale du Patrimoine, le Pavillon, hommage au collectionneur Nuhad Es-Said, ambitionne de revitaliser le Musée à travers la promotion du patrimoine libanais et l'établissement de liens culturels et artistiques internationaux.
Le Pavillon accueille actuellement l'exposition Portes et Passages, Une traversée du réel et de l'imaginaire, organisée par le Beirut Museum of Art (BeMA), qui préserve la collection d'art du Ministère de la culture libanais. Elle réunit plusieurs dizaines d'œuvres d'artistes modernes et contemporains libanais (ou ayant des liens avec le Liban), certaines récemment restaurées par les soins du BeMA, d'autres choisies dans des collections privées, et certaines même conçues pour l'occasion.
Derrière les portes ouvertes, des passages infinis
Portes et Passages met l'accent sur l'ouverture de perspectives, dans tous les sens du terme : une approche curatoriale désormais courante mais à l'efficacité reconnue. L'exposition invite à la réflexion autour de quatre vastes axes : la mémoire, les mythes, la perception, et le territoire, aspects fondamentaux de l'expérience humaine, abordés ici à travers le prisme du contexte libanais. En fait, beaucoup d'œuvres pourraient bien se déplacer d'une section à l'autre tant elles se livrent à des regards multiples – et le font d'ailleurs, grâce aux ouvertures dans les pans de murs. Les thèmes se croisent et s’entrecroisent pour créer des correspondances esthétiques et thématiques inédites avec un mot d’ordre : l'émotion.
Portals & Pathways, Exhibition View at the Nuhad Es-Said Pavilion for Culture © Beirut Museum of Art, 2024
Dès le rez-de-chaussée du pavillon, l'installation d'Alfred Tarazi, "Hymne à l'amour", célèbre et plaide pour la mise en valeur de l'artisanat, et la valorisation de la mémoire inscrite dans une forêt d'objets, surtout des portes en bois, puisés dans ses archives familiales.
Au sous-sol, la lumière s’atténue, évoquant l’atmosphère du musée voisin. Dans cette scénographie réalisée par l'atelier Meem Noon, il n’y a plus de portes, seulement des passages ouverts, des fenêtres et des arcades qui tracent un labyrinthe organisé, et nous donnent conscience de notre déambulation dans l'espace d'exposition. Clémence Cottard Hachem, directrice artistique du BeMA, parle de strates de lecture libres. Les multiples versions de l'Histoire du Liban me viennent à l'esprit.
Entre un réel vague et des certitudes imaginées
La section de l'exposition dédiée à la Mémoire, toujours fragmentaire, et encore plus face aux tragédies, évoque la déchirure et l'absence, avec une grande toile noire de Nabil Nahas, et les pleins et les vides de l'artiste-phare de l'abstraction moderne au Liban, Saloua Raouda Choucair. Plus loin, l'exposition revisite des mythes anciens et met en scène des objets hautement symboliques, comme la carte d'un territoire libanais repensé par Ghassan Zard, et celle du ciel sur peau de mouton d'Adrian Pepe, originaire du Honduras.
Portes et Passages s'intéresse ensuite aux multiples façons qu'a l'art de transformer notre perception du monde, notamment aux niveaux du sensoriel et de l'affectif. L'ambiance est à la poésie et la contemplation, avec, notamment, le photographe Nasri Sayegh, la peintre abstraite Helen el-Khal, et l'artiste multidisciplinaire Daniele Genadry.
On termine la visite (ou, comme je l'ai fait, on commence, au choix) avec une exploration du territoire, avec l'eau et la géologie, sous-tendant une perspective environnementaliste. Ici, les grottes d'Omar Onsi, où la Montagne libanaise rencontre l'Impressionnisme, côtoient des photographies de Caroline Tabet où paysages urbain et rural se confrontent. On peut aussi découvrir une série peu connue d'œuvres en sable du célèbre peintre libanais moderniste Shafic Abboud.
Un air de nostalgie se dégage, pour des lieux et des moments qui ne survivent que dans leurs représentations, parfois idéalisées certes, d'autres soumises au regard critique de l'artiste. Des émotions difficiles à définir, fugaces et contradictoires, traversent les passages. Sans trop savoir pourquoi, la mélancolie s'empare de moi.
Portals & Pathways, Exhibition View at the Nuhad Es-Said Pavilion for Culture © Beirut Museum of Art, 2024
Bienvenue dans le métamoderne.
Portes et Passages suggère une perspective métamoderne, de par son oscillation entre des concepts différents, voire contradictoires, et son intérêt pour les associations d'idées libres. Les personnalités artistiques, les préoccupations, les techniques, les esthétiques, les idéologies et plus encore se rencontrent, s'entrechoquent et dialoguent, liés par des thèmes vastes et interconnectés. Les textes qui accompagnent l'exposition proposent des voies de réflexion sans imposer de thèses. Plus encore, dans un esprit qui se rapproche du métamoderne, l'exposition incite à reconsidérer le passé – ici, l'art moderne du Liban – et semble fascinée par la découverte de manières de mieux le comprendre, non pas par sa canonisation, mais avec tendresse. Une telle initiative pourrait engendrer une compréhension plus nuancée d'un présent en grand besoin de poésie et d'émotion, comme le suggèrent les œuvres contemporaines exposées. En fin de compte, Portes et Passages sous-tend un désir d'inspirer l'avenir, sans sombrer dans le cynisme postmoderne, mais plutôt avec enthousiasme.
Un reflet de notre époque, complexe, incertaine et vulnérable, Portes et Passages est une exposition sérieuse et ludique à la fois. Mais il s'agit avant tout, comme l'espère Cottard Hachem, de susciter de multiples "activations de l'imaginaire."
....
Note collective contre l’inimaginable
Les équipes du Pavillion Nuhad Es-Said pour la Culture et du Beirut Museum of Art (BeMA), Octobre 2024
Le Pavillon Nuhad Es-Said pour la Culture, dont l’inauguration officielle devait se tenir le 18 septembre 2024, fait le choix d'ouvrir ses portes aux visiteurs et de rester accessible aux publics désirant découvrir ses espaces, son Pavilion Café et son exposition inaugurale conçue et organisée par le Beirut Museum of Art (BeMA).
Aux côtés du Musée National de Beyrouth, face à l’inimaginable violence de la destruction et les souffrances qui touchent notre pays dans ses heures les plus sombres, le pavillon se tient comme un espace de défense, de rayonnement et de continuité de la culture et de l’héritage. Il ouvre ses portes à tous ceux qui demandent à se retrouver, dans ce lieu dédié à l’art et à la pensée - un espace de respiration et de projection - aussi momentané et symbolique que cela puisse être.
L’exposition inaugurale Portes et passages, une traversée du réel et de l’imaginaire conçue et organisée par le BeMA incarne encore et toujours son objectif premier : celui d’ouvrir des portes et de créer des passages pour offrir aux publics une traversée, celle de la culture et de l’imagination. Aujourd’hui, elle représente également et plus que jamais un témoignage de la force, de la richesse et de la diversité des pratiques artistiques au Liban, insufflant à chaque visiteur un sentiment de fierté et une lueur d’espoir. Enfin et bien au-delà de ce que nous avions imaginé, cette exposition prend la forme d’un pont bienveillant et silencieux pour relier les gens entre eux, et construire un rempart contre le temps.
Si depuis mars 2024, nous nous sommes évertués à activer un espace pour lui donner un sens et une place et par la culture l’habiter, c’est pour, coûte que coûte et de tout temps l’offrir aux Libanais. Alors même que notre pays est quotidiennement bombardé, que la population souffre, que des familles entières sont déplacées et que la terre et la nature sont rasées, les portes de ce pavillon et celles du Musée National de Beyrouth restent ouvertes pour garantir la pérennité du patrimoine culturel du Liban. Rester ouvert est, aujourd’hui, une manière de défendre et de préserver les liens et les lieux qui nous unissent au présent et au futur, ainsi que l’ensemble des pratiques culturelles et les professions qui leur sont liées. Car rappelons-le, ce ne sont pas uniquement des objets qui sont en danger mais tous les écosystèmes créatifs et culturels qui fondent la pensée, et toutes les personnes qui incarnent et nourrissent ces forces de transformation et d'espoir, c’est pour eux également que nous avons choisi de garder nos portes ouvertes, à leur demande et à celle du public.
Photo 3 - Portals & Pathways, Exhibition View at the Nuhad Es-Said Pavilion for Culture © Beirut Museum of Art, 2024
ARTICLES SIMILAIRES
« Intangible », un témoignage socio-politique immersif à la galerie Tanit
Nora Lebbos
17/12/2024
Rida Abdallah à la Villa Empain: "Mon travail est une sorte d'exorcisme"'
10/12/2024
Des Paysages Émotionnels à la galerie Marie Jose à Londres
10/12/2024
Une artiste au cœur du chaos
04/12/2024
Charbel Matta autour du bleu
Zeina Saleh Kayali
01/12/2024
David Daoud, confessions d’un artiste du Sud du Liban
28/11/2024
WAC.art, la nouvelle plateforme pour collectionneurs et artistes
Nora Lebbos
27/11/2024
Coqlico invite les artistes libanais à peindre le célèbre “Finjan Libanais”
21/11/2024
Le chemin d’Alida Torbay
21/11/2024
Mohamad Abdouni : quête de toi, de nous, de soi
Marie Tomb
13/11/2024