(Court-métrage et paroles en français ci-dessous)
Le court-métrage se décline en trois temps : Tout d’abord, la critique de la censure mais aussi un amer et satirique constat de la situation répétitive qu’annonce le titre métaphore, la répétition de la nuit, un conte, désormais cauchemardesque, celui du black out sur le Liban, mais qui nous mène au deuxième temps, celui de la lumière dans la nuit, qui nous guide vers l’ouverture: la mer, les ballons, le vol des oiseaux, la liberté de pensée que ne peut brimer le système même s’il tient la population en otage. Enfin, la dernière partie est filmée à Tripoli avec Omar El Abyiad, un jeune révolutionnaire "influent" dans les quartiers de Tripoli qui a participé activement à la mise en place, l’agora de la « thaoura » au cœur de Tripoli en plein soulèvement.
Après un retour en image sur les lieux symboliques de la ville, les moments ordinaires se transforment en tableaux poétiques apaisants, qui peuvent raconter des choses au-delà des paroles, d’où l’usage de l’auto-tune vers la fin, afin de mêler leur voix à l’atmosphère globale, les rendre incompréhensibles pour se concentrer plus sur ce qu’on voit et ce qu’on sent loin de tout ce qui est purement cérébral, à l’opposé de la première partie très argumentée.
Ainsi Michelle et Noel Keserwany tentent-t-elles de puiser la beauté des moments ordinaires dans les places publiques et près de la mer: un mouvement, une lumière ou encore une interaction entre deux personnes dans le but d’essayer de voir les petits détails signifiants dans les vies quotidiennes aussi, et de s’attacher à eux, pour pouvoir survivre, et montrer ce qui reste à aimer, le lien qui reste, tel que le mot « oumi » (« ma mère ») tatoué sur une épaule, et un discours, celui de la « thaoura », et enfin, le troisième temps fait une promesse face à la mer sans fin, avec en arrière-plan des figures de parents de victimes de l’explosion du 4 Août: « nous n’oublierons jamais ».
Mille et Une Nuit - Michelle et Noel Keserwany
Allô ? Est-ce bien le bureau de la lutte contre la cybercriminalité ?
Je vous ai appelé afin de vous éviter la charge de devoir le faire
Les politiciens libanais eux même, ont-ils colonisé le pays?
Ne peut-on même plus plaisanter ?
Le chat est sorti du sac et t’a mangé la langue ?
Des poids lourds, en plein jour, transportant le peu du fuel restant aux delà des frontières
Oh, nous est-il interdit de parler de l’effondrement ?
Et pour tout cela pas droit à un mot ?
De de la situation de la Banque Centrale ou celle du dollar …
Pas même un mot ?
Et encore moins des violences policière et militaires…
Pas un seul mot ?
Courant, panne de courant, lumière et obscurité
On ne comprend plus le comment du pourquoi
Entre Pénurie de médicaments,
Et excès d’armes et de corruption,
Des sultans et des palaces,
Tandis que mes ambitions et aspirations font la queue devant la station essence…
Nos journées tournent en rond, en rond elles tournent, jusqu’à se dissoudre dans le néant
Et cela aussi, nous est-il interdit de l’exprimer ?
Qu’en est-il de nos cœurs brisés ?
Du procès qui se fait attendre encore et encore ?
De ceux qui s’immiscent pour empêcher justice d’être faite pour ensuite maudire le destin ?
Ne faut-il pas en parler ?
Si c’est comme ça, alors on se taira
Et à la place on écrira « lalalallalalaaala »
Nuit, oh douce nuit !
Une génération toute entière, debout et qui attend
Durant mille et une nuit
La fin de ce néant
De leurs yeux, de leurs regards transperçant
Ils défient le futur
D’un seul et même regard, jusqu’à ce que le Cyclope devant eux s’incline
Chers voyageurs, nous vous informons que nous avons commencé notre descente
Nous vous prions de bien vouloir attacher vos ceintures de sécurité,
Et en cas de chute libre,
Pour garantir votre sécurité, veuillez surtout ne pas insulter tous ceux qui ne lâchent pas leurs piédestaux,
Et surtout n’oubliez pas d’éteindre vos caméras ainsi que vos téléphones portables.
Belle descente aux enfers !
Lucifer a réservé un accueil des plus chaleureux au grand peuple libanais,
Faites bon voyage.
Monsieur l’inspecteur, nous n’avons commis aucun crime ou délit.
Ceux qui n’ont pas réussi à nous opprimer nous ont donc pris en otages.
J’aurais bien aimé pouvoir crier au secours,
Mais que faire si l’on me tend un cadeau empoisonné de l’étranger,
Qui se veut financer les bourreaux dont je suis otage ?
Quelques milices protégeant la mafia au pouvoir, les banques et les pillards,
Le droit en est-il donc ainsi ?
Je me range alors avec les traitres et les voyous.
Tout d’abord, bonsoir !
Deuxièmement, où se trouvent donc tous les révolutionnaires ?
[les révolutionnaires aux politiciens]
« On se faufilent dans vos rêves et vos cauchemars,
Dans vos nuits, tel le Père Fouettard,
Dans vos maison et aux restaurants,
On vous suit et on ne vous lâchera jamais,
On se transforme aux portes des urnes électorales,
Par nos idées et idéaux on se répand,
On succombe, on se soutient et on se relève
On répète en chœur,
Un souffle.
Une idée ne peut être prisonnière,
Vos tentatives de répression sont vaines face à nos idées,
Face à notre idée, la révolution. »
Omar qui parle :
Et en fin de compte, on vient me dire
Je veux … nous voulons du pain !
Non, non, détrompez-vous, je ne veux pas de pain !
Parce qu’à partir du moment où cette idée s’implante dans l’esprit du peuple,
Il ne suffit que de le nourrir pour le faire taire à jamais !
Est-ce que c’est cela que vous demandez ? Est-ce pour le pain que vous vous révoltez ?
Tenez, servez-vous, du pain et des boîtes de ration,
Bon appétit, et une révolution aux oubliettes !
Non …
J’insiste et je répète,
Nous ne voulons ni manger ni boire.
J’accepte d’avoir faim, j’accepte de dormir à la rue,
J’accepte la soif et la chaleur,
Sans courant ni air conditionné,
Jamais nous n’oublierons,
Avec nos bourreaux, ni réconciliation, ni demi-mesure
Avec nos bourreaux pas de poignées de mains
(Photo ©Myriam Boulos)
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