Zeina Saleh Kayali ouvre les portes de Beit Tabaris
05/05/2022|Juliette Pirot-Berson
Zeina Saleh Kayali. Ce nom ne vous est sans doute pas inconnu. Contributrice régulière de l'Agenda culturel, Zeina est la spécialiste par excellence du patrimoine musical libanais. Dernièrement, elle a ajouté un nouveau projet à ses activités déjà multiples : l'ouverture de Beit Tabaris, une maison dédiée à la musique classique à Beyrouth.
Dans cette maison traditionnelle libanaise, située au cœur du quartier d’Achrafieh, l’objectif est d’accueillir des artistes en résidence et de proposer des master classes aux jeunes musiciens libanais. « Je voudrais créer dans cette maison un espace de culture et surtout remonter le moral des musiciens libanais qui sont déprimés par la situation », confie Zeina, expliquant que les musiciens en herbe partaient très souvent se perfectionner en Europe à la fin de leurs études musicales. Proposées de manière totalement gratuite, « ces master classes ont pour but de leur apporter à domicile quelque chose qu’ils ne peuvent plus avoir à cause de la crise économique », poursuit-elle.
Qu’est-ce qu’une master class ? C’est lorsqu’un musicien de renom vient apporter un enseignement pendant plusieurs jours à des musiciens déjà expérimentés. Pour la première, Beit Tabaris accueille le pianiste Abdel Rahman El Bacha, ainsi que son épouse Suzanne Vermeyen violoncelliste du 23 au 29 mai prochain.
Cette demeure beyrouthine est la maison d’enfance de Zeina qui en hérite au décès de son père. « Il parlait sans cesse de revenir dans cette maison et cela ne s’est jamais fait, donc j’ai un peu l’impression de réaliser son rêve en y retournant ». Délaissée pendant des années puis très fortement endommagée par l’explosion du port, la maison a bénéficié d’importants travaux de rénovation, sous la direction de Joseph Maroun, architecte en charge de la restauration.
Avec un père pianiste et une mère choriste, Zeina plonge dans ce monde musical dès son plus jeune âge et se définit comme passionnée par la musique classique et le Liban. « J’ai essayé de combiner les deux passions, en créant des sources écrites pour la musique classique libanaise », résume-t-elle.
En 2011, elle publie « Les compositeurs libanais des XX et XXIème siècle ». « Pendant 5 ans, j’ai couru derrière les compositeurs libanais à travers le monde et j’ai sorti ce premier ouvrage ». Une épopée qui s’est conclue par ce livre pionnier en la matière, les sources de cette histoire n’ayant jamais été écrites auparavant. « Il y pas eu de travail musicologique », explique Zeina.
Ce premier ouvrage a conduit à la fondation du CPML (le centre du patrimoine musical libanais), hébergé au collège Notre-Dame de Jamhour, dont elle est la co-fondatrice et dont Robert Matta est le mécène. Partitions manuscrites, photos, lettres, affiches et programmes de concerts constituent les archives qui y sont soigneusement conservées. « C’est extraordinaire ce qu’on peut trouver dans les archives d’un compositeur, ça parle de l’histoire de la musique, mais de l’histoire du pays aussi », s’émerveille Zeina.
Par la suite, de nombreux ouvrages s’ensuivent : elle publie « La vie musicale au Liban » et une série de livres biographiques, consacré chacun à un compositeur libanais, regroupés dans la collection « Figures musicales du Liban » aux Editions Geuthner.
« Le patrimoine musical libanais est très riche parce qu’il est comme l’âme libanaise, d’Orient et d’Occident, un pont entre les cultures et entre les civilisations, c’est très intéressant », souligne Zeina, qui tente d’œuvrer pour la diffusion de ce patrimoine, en parallèle de son poste de chargée de mission à la délégation permanente du Liban auprès de l'UNESCO à Paris.
En plus de ses chroniques musicales régulières dans l’Agenda Culturel et l’Orient-le-Jour, elle est également à l’initiative du festival « Les musicales du Liban », cofondé avec le pianiste franco-libanais Georges Daccache et organisé chaque année à la cathédrale Notre-Dame du Liban à Paris.
« C’est très important pour les Libanais de connaître le patrimoine musical libanais classique qui est très intéressant et encore très méconnu ». Zeina espère que ce travail préliminaire amènera des professionnels du métier à se pencher sur l’étude du patrimoine musical libanais du point de vue purement musicologique. « Je ne prétends pas faire ce travail de musicologue moi-même, mais j’ai ouvert la voie par un travail de recensement biographique et de prise de conscience ».
Zeina Saleh Kayali donnera une conférence intitulée « Y’a-t-il un véritable courant de musique classique libanaise » le mercredi 11 mai à 18h30 à l’ALBA. Entrée libre.
Beit Tabaris qui bénéficie du soutien de l’Institut Français a accueilli pendant une semaine Anne-Lise Broyer, la première artiste en résidence. L’artiste sillonne les côtes méditerranéennes dans le cadre de son projet « Est-ce là que l’on habitait ? » : « C’est une sorte de traversée des désastres autour de la Méditerranée », explique l’artiste qui est de passage à Beyrouth pour la première fois et travaille en collaboration avec l’Institut français.
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