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Antoine Boulad, directeur d’Assabil : « Militant du lire, de l’écrire et de la citoyenneté »

27/03/2025|Gisèle Kayata Eid

À mi-chemin entre pâtre grec et poète inspiré, il présente, organise, donne de son temps comme on donne à un enfant, sans penser, sans calculer, juste avec la satisfaction de le voir s’intéresser, réaliser et avoir du plaisir. S’il n’a pas le don de l’ubiquité, il n’en est pas trop loin multipliant les chapeaux et les animations. Il sourit beaucoup et réfléchit au mot juste en regardant au loin, comme pour trouver l’inspiration. Celle qui le fait écrire de la poésie. La poésie « qui fait combiner des mots, des sonorités et des rythmes », comme il combine si bien les groupes, activités et projets qu’il créé et implante.

 

Il me reçoit dans l’ambiance feutrée de ce qui était La Maison du livre à la rue Monnot et me raconte la belle aventure d’Assabil, l’ONG dont il est un des fondateurs.  « Il s’agissait de faire quelque chose pour le livre dans un pays qui sortait de la guerre ».  L’idée était née en 1997. Ce qui se limitait à la Bibliothèque nationale, s’est vu pérennisé et constitué en partenariat avec la Municipalité de Beyrouth pour devenir Assabil, l’Associatioon des amis des bibliothèques publiques, responsable de promouvoir les bibliothèques et les livres au Liban. Le Conseil régional d’Île de France offre un soutien financier et avec l’avènement du deuxième millénaire, les premières bibliothèques publiques voient le jour, gérées par Assabil dans ses trois branches à Beyrouth : Bachoura en 2001, Geitaoui en 2004 et Monnot en 2008.

 

Assis sur une chaise basse, devant une table pour enfants, Antoine Boulad est encore enthousiaste comme au premier jour : « Le but est de faire bénéficier les gens du droit qui leur revient de s’informer et de lire gratuitement dans des espaces publics, ouverts à tous sans distinction et gratuitement. Mis à part, ceux qu’offrent les communautés, les Libanais souffrent de ne pas jouir d’espaces accessibles, sans ségrégation aucune.» Mais là n’est pas le seul objectif d’Assabil : « Soutenir les autres bibliothèques dont celles du CLAC (Centres de lecture et d’animation culturelle), former des bibliothécaires et leur assurer des stages, organiser des animations, et même quand c’est possible, fournir des dons de livres ».

 

C’est aussi dans ce demi sous-sol réduit, mais si chaleureusement et judicieusement aménagé que se déroulent des rencontres avec des écrivains et des activités récurrentes, ouvertes au grand public et aux classes d’écoles. Dans le même esprit de faire connaître les personnes qui sont derrière les pages d’un livre, chaque mois un écrivain (alternativement francophone et arabophone) vient expliquer sa démarche d’écriture dans un concept intitulé « Dans la cuisine de… » qui « introduit le public au processus de la création de l’œuvre littéraire, à ses saveurs et ses senteurs » selon les termes du responsable de la section poésie de l’édition « Osez dire ». Le poète enthousiaste ajoute : « Une fois par mois, nous offrons une activité intitulée « Tourath Beyrouth » qui met le patrimoine à l’honneur avec la présentation d’un livre sur ce thème. Le cinéma est au programme aussi, régulièrement, présenté par l’ONG « Nadi likoul al nass ». La musique, occidentale et orientale n’est pas en reste, Joelle Khoury s’en occupe à Bachoura. »

 

Les activités sont-elles aussi offertes dans les deux autres bibliothèques de la ville ? Le regard de Boulad s’assombrit quelque peu : À Bachoura, ils ont souvent des problèmes d’électricité, alors qu’ici nous assurons nous-mêmes un générateur, et à Geitaoui malheureusement le jardin public où se trouve la bibliothèque ferme à 17h… »

 

Mais mon interlocuteur s’anime à nouveau : « Nous avons aussi des clubs de lecture pour adultes, dans les trois langues et par thème comme par exemple les prix (Nobel, Goncourt, etc.), les auteurs internationaux, les « incontournables » (choisis par les membres eux-mêmes, le tout dernier étant Sleiman Rushdie). Les enfants aussi ont leur heure du conte avec des récitatrices professionnelles. Suite à la lecture ils sont invités à dessiner et à bricoler à partir de l’histoire » qu’attestent effectivement les œuvres colorées collées sur les murs.  « Nous sommes aussi en contact avec les écoles publiques pour du soutien scolaire, pour des lectures dirigées sur un thème précis dans le but de développer les capacités langagières, l’esprit critique à travers des activités citoyennes et des débats… Par exemple, pour le mois de la francophonie cette année, nous recevons à Assabil des élèves à qui nous faisons la lecture en français, comme nous irons aussi la faire dans les écoles officielles. »

 

Les activités s’enchainent et se précipitent dans la bouche de ce passionné : « Le printemps des poètes, prix littéraire offert par la Fondation Boghossian, le concours jeunesse : Défi 10 ans, la publication trimestrielle de SAWA, un petit pamphlet d’informations, de jeux, de BD et d’histoires en langue arabe pliable, à glisser dans la poche … »  Et bien sûr, sans oublier pour le féru des mots, les ateliers d’écriture. Une constante à Assabil, mais aussi dans sa vie privée… 

 

Devant cette avalanche d’évènements et de programmes, une question s’impose : qui assure le financement d’Assabil ? Le regard du « militant du lire et de l’écrire », comme il aime se définir, se voile, le sourire se fait timide, les épaules se lèvent en signe d’impuissance : « Depuis deux ans, nous n’avons absolument aucun financement. Initialement la municipalité couvrait 85 % des dépenses, les 15 autres étant assurés par des appels à projet, des dons. Mais là… La Cour des comptes a mis la main sur les dépenses de la municipalité… On continue, on puise dans nos réserves… Ce sont surtout les salaires des employés qui posent problème »

 

Si le ton de cet activiste culturel devient évasif face à l’avenir incertain, sa passion par contre est toujours vivace. Il s’ébroue aussi pour m’annoncer avec fierté : « Un collectif Monnot est en gestation qui réunira des institutions culturelles importantes. Il comprendra la Bibliothèque orientale, le Musée de la préhistoire, la Bibliothèque municipale, l’UPT (Université pour tous de l’USJ), deux librairies :  Snoubar Beyrouth (propriété de la maison d’édition hyponyme) et Cafébrairie 33, concept de livres à thème proposé par Joumana Haddad; et aux deux extrémités de la rue, Beit Tabaris (dédié notamment aux master-class en musique classique) et à son opposé une branche du Conservatoire national. Nous voulons créer une synergie entre ces différents organismes, à travers une plateforme commune. C’est quand même un quartier particulier, au cœur de la capitale ! » Très probablement à l’image de sa personne au cœur de la promotion efficace de la littérature et de la culture au Liban.



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