Rony Mecattaf, psychothérapeute, publie son premier ouvrage. Un récit autobiographie dont le point de départ est l’explosion quasi atomique du Port de Beyrouth le 4 aout 2020 au cours de laquelle il a perdu l’usage de son œil droit. L’auteur répond aux questions de l’Agenda Culturel.
Pourquoi avoir publié cet ouvrage maintenant ?
En réalité, son écriture a commencé au lendemain de l'explosion du Port, mais j'ai eu besoin de plus de trois ans pour le terminer. L'écriture était en elle-même un bel exercice de découverte de soi ... et de dévoilement ! Ensuite, il a fallu patienter et trouver un éditeur car, et je ne l'imaginais vraiment pas, cette partie-là du processus peut être longue et ardue. Elle en décourage plus d'un. J'ai eu la chance d'être très bien conseillé et soutenu dans cette entreprise, et finalement de trouver en Erick Bonnier un éditeur à la fois disponible et enthousiaste. Mais, comme je le dis dans le texte, je trouve cela plutôt sympa que le livre sorte presque cinq ans après l'événement instigateur, car il le rend moins axé sur le sensationnalisme médiatique et le besoin, semble-t-il omniprésent dans le monde de l'édition, de jouer le jeu de la pression mercantiliste. Prendre le temps - et en jouir ! - est un vrai luxe de nos jours.
Le titre en lui-même, dit beaucoup. Qu’est-ce que la blessure a guéri ?
Ce titre est volontairement équivoque. Au premier abord, il y a bien sûr le processus de guérison de la blessure elle-même. Il s'est fait avec l'aide de médecins et chirurgiens envers lesquels j'éprouve une grande reconnaissance, tout comme mes proches dont l'amour sans faille a permis à cette guérison de s'effectuer rapidement. Mais au-delà de ce sens, il y effectivement cette notion d'une blessure qui ME guérit, ne serait-ce que par l'humilité qu'elle m'invite à explorer, et par le rappel à la mortalité et la fragilité extrême qui nous caractérisent en tant qu'êtres humains. Cela fait du bien, un petit rappel à l'insignifiance profonde de notre existence, mêlé bien sûr à la gratitude pour la formidable opportunité que cette "seconde chance" m'a offert. Accepter que notre place est somme toute plutôt accessoire dans la grande histoire de la Vie ne devrait pas enlever - bien au contraire ! - notre émerveillement pour chaque minute qu'il nous est permis de savourer. Je peux dire que ces considérations et réalisations sont directement liées à la blessure, même si elles sont aussi le fruit de plus de trente-cinq ans de pérégrinations diverses dans l'exploration de soi (comme je le développe dans le livre).
Le 4 août est un événement traumatisant de l’histoire des libanais. Avec vos mots, votre expérience personnelle et en tant que citoyen libanais, que diriez-vous des répercussions de cette double explosion ? Et de cinq ans de crises en général ?
J'ai pris pour habitude de limiter fortement ma lecture (et encore plus l'expression) analytique sur la situation géopolitique de notre pays. En tant que citoyen et en tant que thérapeute, j'observe avec tristesse les répercussions délétères de cette situation sur la santé mentale de mes concitoyens, et ce sur un large spectre de la population, englobant les diverses catégories socio-professionnelles, l'âge, le sexe ou l'appartenance à telle ou telle communauté. J'observe aussi le formidable réservoir d'énergie qui se déploie avec toujours plus de vigueur à chaque fois que le plus petit espoir d'amélioration pointe son nez. Peut-être que l'un est la conséquence directe de l'autre ? En tout cas, cela contribue à nourrir en moi un optimisme, certes prudent, mais qui trouve sa source dans une inébranlable foi en la justesse des choses. Sans tomber dans un "positivisme" béat, je peux trouver dans cette croyance un soutien spirituel, y compris lorsque les événements, comme ceux que nous vivons collectivement depuis cinq ans (ou peut-être devrait-on dire cinquante) viennent ébranler notre confiance dans la bonté de l'humain.
Est-ce que l’écriture de cet essai vous a donné l’envie de publier d’autres ouvrages ?
Jusqu'à il y a peu, je vous aurais répondu que ce livre serait le seul. De plus, je travaille actuellement à la version anglaise, que je préfère écrire moi-même. Mais je dois avouer que l'exercice est addictif. J'y pense et une fiction pourrait en résulter. En tout cas, je prendrai le temps ... Rendez-vous dans quelques années ?
‘La blessure qui guérit’ l'essai de Rony Mecattaf qui parait aux éditions Erick Bonnier sera disponible à la librairie Antoine à partir du 15 mars.
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