Lawrence Abu Hamdan : Son-et-lumière engagé à la galerie Sfeir-Semler
24/04/2025|Mathilde Lamy de la Chapelle
Lawrence Abu Hamdan diversifie les arts visuels et sonores dans une exposition engagée. Jusqu’au 1er août.
Dans la galerie Sfeir-Semler résonnent des sons puissants, violents, amplifiés par l’importance des volumes de cet ancien hangar. Sur ses murs, au fond de l’espace, se réverbère une forte lumière pulsée. Dès les premiers pas, l’exposition interpelle voire dérange. Les six installations de l’artiste, Lawrence Abu Hamdan, sont réparties dans la galerie de Karantina de part et d’autre d’un mur faisant démarcation. Il n’y a pas de sens prédéfini pour cette visite, ni de réel fil conducteur entre l’ensemble des œuvres. Il faut se frayer un passage entre les écrans et les spots de lumière, se laisser prendre au jeu des installations qui nous invitent à plonger dans les réflexions et les convictions de l’artiste. Ensemble, elles se font le reflet de son esprit « touche-à-tout », de son goût pour l’innovation et de sa soif d’explorer de nouveaux médiums.
Loud Speakers (Remix) 2024 Video, sound, two karaoke machines 10 minutes & 9 minutes, 50 x 40 x 20 cm each machine Edition 6 + 2 AP. Courtesy of the artist and Sfeir-Semler Gallery Beirut/Hamburg
Connu pour son travail sur le son, Lawrence Abu Hamdan surprend avec de nouveaux formats. Il se transforme en « streamer », pour commenter un jeu vidéo reproduisant le Golan syrien occupé. Il se fait réalisateur, en filmant son ami, le producteur d’origine palestinienne Mahdi Fleifel, qui évoque face caméra la perméabilité des frontières, terrestres comme aériennes, traversées par les tirs et les drones meurtriers. Enfin, il se mue en narrateur, en lisant la première version du script du film « Poltergeist » de Steven Spielberg – un film mettant en scène une famille hantée par les signaux émis par leur télé éteinte – afin d’aborder la question des interférences électromagnétiques, présentes partout mais invisibles pour l’œil.
Caption Sheet Lawrence Abu Hamdan Someone Chewing April 2025. Courtesy of the artist and Sfeir-Semler Gallery Beirut/Hamburg
Dans cette exposition, l’artiste fait preuve de son plus grand talent : celui de parvenir à manier avec aisance des supports et des techniques variés afin de véhiculer le mieux possible les messages qui les sous-tendent. En faisant primer le message sur toute forme d’identité artistique, il démontre une certaine humilité, mais aussi une grande adaptabilité et une capacité à se réinventer pour surprendre son public. C’est ainsi que, en investiguant pour Earshot, première ONG dédiée à l’étude du son dans le cadre des conflits, et dont il est aussi le fondateur, Lawrence Abu Hamdan s’intéresse à la photographie documentaire. De cet intérêt naît l’œuvre « Planned Obsolescence », exposée pour la première fois à la galerie Sfeir-Helmer. Ici, l’artiste met à l’honneur dix clichés, récupérés d’appareils endommagés de journalistes visés par les tirs israéliens. Figés sur écrans de télévisions, ces clichés renouent avec leur objectif premier d’informer, comme une manière de rendre justice au travail des reporters qui risquent leur vie pour documenter la guerre.
Zifzafa: A Livestream Audio Essay 2024 Video game, single-channel projection, color, sound 45 minutes Edition 5 + 2 AP. Courtesy of the artist and Sfeir-Semler Gallery Beirut/Hamburg
Par cette exposition, Lawrence Abu Hamdan alerte également sur la situation du Golan en Syrie, et plus particulièrement sur la souffrance ignorée de ceux qui y vivent. Parmi les trois œuvres qui y sont consacrées, « Zifzafa » est l’installation la plus impressionnante, tant par sa taille que par sa signification. Ce mot arabe, qui évoque le bruit des secousses faites par le vent, est le nom donné à un jeu vidéo, lequel nous fait naviguer au sein du parc éolien construit sur le plateau du Golan occupé, à l’endroit même des habitations syriennes. Ici, le bruit des turbines est assourdissant, et marque la volonté de perturber l’environnement et ses habitants pour les en chasser. Cette installation porte à elle seule l’intention de l’artiste : celle de démontrer que « le pouvoir appartient à ceux qui définissent ce qui constitue le bruit ».
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Zifzafa: A Livestream Audio Essay 2024 Video game, single-channel projection, color, sound 45 minutes Edition 5 + 2 AP. Courtesy of the artist and Sfeir-Semler Gallery Beirut/Hamburg
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