ArticlesEvénements
Aujourd'huiCette semaineCe weekend

Pour ne rien manquer de l'actualité culturelle, abonnez-vous à notre newsletter

Retour

Partager sur

single_article

Mounira Al-Solh réincarne le mythe dans notre temporalité

14/04/2025|Briac Saint Loubert Bié

Du 11 avril au 1er août 2025, Mounira Al-Solh poursuit son exploration des mythes fondateurs dans son exposition Stray Salt, présentée à la galerie Sfeir-Semler de Downtown à Beyrouth. L’artiste recolore le mythe d’un regard résolument féminin et nous offre une vision novatrice de la construction des récits nationaux.


Le mythe appelle le mythe, une mythologie s’inspire d’une autre. Les Romains ont puisé chez les Grecs, et celle des Grecs est une synthèse des diverses traditions orales diffusées par la multitude des peuples qui sillonnent la Méditerranée. Parmi ces peuples, c’est chez les Phéniciens que Mounira Al-Solh puise à son tour son inspiration. Ces grands commerçants, qui se sont élancés depuis les rives de Byblos et de Tyr à la rencontre des peuples méditerranéens, et qui ont donné ses premières lettres d’or au Liban, mais dont au fond on ne sait pas grand-chose. Mounira, d’habitude, se méfiait de ce postulat réducteur qu’on rabâche à des écoliers, à la manière dont les petits Français apprenaient « nos ancêtres les Gaulois » dans un passé encore récent. L’artiste raconte que c’est à l’occasion d’une sortie en famille à Tyr, une nuit de pleine Lune, qu’elle a « ressenti une connexion avec l’histoire phénicienne ». Face à une histoire vieille de 3000 ans, aux multiples ressorts et déclinaisons, Mounira choisit le mythe d’Europe comme porte d’entrée.


When Elissa’s Women Emerged 2025 Acrylic on canvas 60 × 123 cm Courtesy of the artist and Sfeir-Semler Gallery Beirut/Hamburg.


●     Renouveler la mythologie à l’aune des enjeux contemporains

C’est elle qui vous accueille en entrant dans la galerie. Mais une Europe non plus faible et victime des désirs de Zeus fait taureau, une Europe non plus contrainte à l’exil par la volonté d’un homme. Une Europe forte et indépendante, qui décide de son destin et pose le choix de son exil. Europe sous toutes ses coutures. De la peinture à la sculpture en passant par le dessin animé, la princesse phénicienne se réapproprie l’histoire, berce le taureau dans ses bras puis l’abandonne sur la plage, et s'enfuit seule sur la mer sous la menace des bombardements. Zeus apeuré se recroqueville dans les bras de la femme qui, placide et tranquille, le réconforte tout en machouillant la tige d’un pissenlit. Elle est le héros hollywoodien, lui, la jeune fille en détresse. Refusant d’être « seulement représentée en victime », Mounira redonne de la place à la femme, à celle qui supporte l’homme, lui donne vie et le soutien.

« Je voulais raconter cette histoire de mon point de vue, de la réécrire de ce côté de la mer. » Mounira réincarne Europe et son histoire dans notre temporalité. Son départ est celui décidé par toutes les femmes poussées hors du Liban par les catastrophes qui s’y succèdent : explosion du port, guerre, tremblement de terre et Covid-19. Alors la célèbre statue de L’Immigrant libanais devient la sculpture de l’immigrante libanaise. Dans une posture similaire à l’original, entièrement nue, elle traîne derrière elle une petite valise de cabine.  Sa nudité est celle des toutes les réfugiées, elle marque la transition entre la vie qu’on laisse derrière soi et la nouvelle qu’on est prêt à revêtir.


2025 Glazed ceramic 60 × 70 × 30 cm Courtesy of the artist and Sfeir-Semler Gallery Beirut/Hamburg.


●     Décortiquer nos identités au regard de l’histoire

Partout, autour des œuvres qui vous sont présentées, et jusque dans leur exécution, l’antique se mêle au contemporain. Le symbole ancre les créations de Mounira dans une histoire, leur donne racines et esquisse leur identité. L’immigrante surgit d’un murex, ce coquillage qui donnait leur teinture rouge aux textiles phéniciens. Çà et là des fleurs de lotus apparaissent, évoquant la vie ou la mort selon leur direction, allégorie propre à l’Égypte antique, l’influente contemporaine des Phéniciens. Sur un mur, une série de portraits monochromes rappellent les bas-reliefs des temples dans lesquels s’infusent des figures issues du folklore libanais. Parmi elles, le vieux marin au visage antique que chantait Fairouz dans LiBeyrouth. « Chaque fois que je me promenais sur le port, je croyais toujours voir ce vieux matelot, c’est lui que j’ai voulu représenter ici. » Des portraits épurés qui semblent abîmés par le temps, dans lesquels se croisent et fusionnent influences historiques, mythes et expériences de vie, images de cet agrégat indistinct et sans cesse mouvant que tente de renfermer l’idée d'identité.


Mounira Al Solh Two Airplanes and the Luggage 2025 Wood, 2 salt bags, video and sound Boat dimensions: 60 × 210 × 85 cm Video duration: 1’35’’ Courtesy of the artist and Sfeir-Semler Gallery Beirut/Hamburg.


●     D’une légende à l’autre

Une vaste exploration qui suit son cours. Déjà, cette exposition s’inscrit dans la continuité d’un projet dont les premiers fruits avaient été présentés il y a un an à la Biennale de Venise. En fin de parcours, Mounira nous expose la suite de son travail, qui s’ouvre désormais sur l’étude de la fuite d’Elissa. Princesse de Tyr, elle s’échappe de la cité à la suite de l’assassinat de son mari, entraînant avec elle 80 jeunes femmes qui peupleront sa nouvelle colonie. Ces femmes, Mounira les voit comme « héroïnes, protectrices et engagées », elles emportent la vitalité et l’espoir vers les rivages de Tunisie. De là, elles écriront les nouvelles pages de l’histoire antique en fondant la ville qui par deux fois fit trembler Rome : Carthage.


Pour en savoir plus, cliquez ici


Installation view, Mounira Al Solh, Stray Salt, 2025, Sfeir-Semler Downtown, Beirut, Lebanon Courtesy of the artist and Sfeir-Semler Gallery Beirut/Hamburg.

thumbnail-0
thumbnail-1
thumbnail-0

ARTICLES SIMILAIRES

Depuis 1994, l’Agenda Culturel est la source d’information culturelle au Liban.

© 2025 Agenda Culturel. Tous droits réservés.

Conçu et développé parN IDEA

robert matta logo