Dans le cadre du Salon des Signatures, Thilda Moubayed-Herbillon signe son recueil de poèmes ‘Le Souffle du Liban’ paru aux éditions Artliban Calima, le samedi 14 décembre 2024 entre 12h et 17h à Rebirth Beirut Space.
Votre relation au Liban est ambigüe et passionnelle. Pourquoi cette violence affective dans certains poèmes ?
AMBIGUE… Comment peut-elle ne pas l’être ? Le Liban est devenu indéfinissable, construit sur des critères mouvants, tout est dans tout, comment le reconnaître et s’y reconnaître, quand les éléments qui fondent son identité échappent au rationnel, imbibé d’une émotion qu’une guerre a mis en désordre…
Violence affective ? Oui … Beaucoup d’instants étaient terribles à vivre au Liban ; la fiction restant peu de choses par rapport à la réalité de la guerre. Ainsi, naturellement, la plupart de mes écrits sont nés d’un cri de colère…. Cri de colère quand votre pays devient un terrain de foot entre vainqueur et vaincus, pour des causes qui ne sont pas directement les vôtres…. Et que votre identité se perd au profit d’enjeux politiques nationaux et internationaux, misant sur l’entretien d’un désordre... démolissant le suc libanais.
De quoi est-il fait ? Ancestralement, deux critères habillent le peuple libanais : sens de l’accueil et sens de la famille … Malheureusement, un autre dénominateur commun nous réunit, la guerre : guerre des armes, guerre des nerfs, et la plus atroce, la pire c’est celle qui a fait éclater le tissu familial, emblème fort du Liban ; car tout Libanais, de quelque bord qu’il soit, sacrifierait tout pour construire l’avenir de son enfant et adoucir son présent. L’expression artistique vient alors à la rescousse, tentant de ressusciter les piliers ou les fondamentaux intouchables sur lesquels se reposent ces valeurs essentielles.
Pour cela il devient nécessaire de nommer le vécu, ce qui se joue à l’intérieur de nous-mêmes. Le langage musical de la poésie, en ce qui me concerne, m’a permis de dénoncer, de critiquer… en fait d’écrire… ce qui était impossible à dire… en vue de disséquer ces moments où jonglent en même temps des sentiments paradoxaux tels : la joie, l’incertitude, le défi, l’espérance, le désespoir…etc, et qui, par instinct de survie, (disons presque à l’insu de nous-mêmes) se cristallisent en spectacles féeriques, ayant pour supports : chants, danses, musique, feux d’artifices, et éclats de lumières etc …
Est-ce un leurre ? Non… nous pouvons intuitivement comprendre les causes de ces débordements tout en signalant certains abus… mais pour tuer ces années mortelles… et cela, il est aisé de l’observer… dans un contexte hostile, la création artistique fleurit, défiant la noirceur et la morbidité du quotidien, d’où le rôle central du festif… qui, à l’exemple d’un noble guerrier, vient dissiper les grandes turpitudes, essentiellement celle de l’injustice et de sa laideur…
Vous écrivez la poésie comme on raconte des contes de fées… quelle valeur ajoutée le merveilleux accorde-t-il à votre écriture ?
En effet ce sont de petits contes qui presque à mon insu se sont construits sous formes de poèmes… petites histoires, chacune d’elles ressuscitant un moment vécu, dans un quotidien alarmant, survolant nos vies, en état de sursis permanent, et cela depuis 50 ans !
Certaines fois l’écriture vous entraîne vers des lieux inédits, pour échapper à une réalité hostile… Dans ce Liban ciblés d’obus et de peuples et partis querelleurs se le disputant, l’émotion sans l’appui de la création artistique resterait d’ordre primaire, engendrant un degré de conscience végétatif, tel observé dans le règne animal… De là nait le rôle primordial du merveilleux, qui n’est autre qu’un affranchissement… une faculté de s’abandonner à l’univers du jeu et de l’imaginaire !
Conséquemment l’art, quel que soit son mode d’expression, tente d’organiser les désordres émotionnels nés de ces turbulences, en cherchant des voies lumineuses ; d’où la croissance des manifestations festives au Liban, se projetant comme un défi, une forme de résurrection, le temps que le Liban resurgisse de par ses racines…
Le merveilleux est nécessairement adjacent à toute création artistique… Il est un instrument majeur pour maitriser le « travail de l’imaginaire », à même d’outrepasser le chaos. Naît ainsi un langage neuf, soutenu par une pulsion de survie, pour dessiner la beauté, s’y fondre en elle et ressusciter l’espoir… et cela partout dans le monde…
Alors moi, née au Liban, dans un contexte ambivalent où se conjuguent naturellement douceur et violence et disant non à la guerre des armes, j’utilise celles des mots… pour dissiper les discordances qui étouffent notre identité libanaise, essayant de refaire émerger cette étoffe harmonieuse dont jouit naturellement mon pays: NOBLESSE ET GRANDEUR DU GESTE… toutes communautés et classes confondues…
Pourquoi ces points de suspensions au milieu et parfois à la fin des vers ?
Parce que depuis… nous sommes en état de suspension… et que j’attends vaillamment le point final qui pourrait clôturer cette guerre construite à nos dépens !
Thilda Moubayed est née au Liban en 1951. Elle a vécu par intermittence les années de guerre au Liban (1975-1990) tout en poursuivant ses études à Paris où elle a obtenu son doctorat en sciences de l'éducation. Elle a, par la suite, enseigné à l'Institut Catholique de Paris, à Paris XII, et à l'Université René Descartes-Paris V.
En même temps, elle a été membre du comité de la revue Dansons-Magazine, regroupant un ensemble d'universitaires, pour finalement publier deux ouvrages chez l'Harmattan, l'un en 2005, intitulé ‘La Danse conscience du vivant’ et l'autre en 2007, intitulé ‘Thami une femme libanaise’. Auteure de la chanson ‘Beyrouth souveraine’.
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