Lorsqu’il écoute pour la première fois l’Ormindo de Cavalli, il y a de cela quatre mois, il a déjà répondu affirmatif à la proposition qui lui a été faite, d’en jouer le rôle-titre. Trop tard ! Et le mot est ici bien connoté, car après cette première écoute, Matteo El Khodr est mitigé. Il déteste la pièce, peu commune et si riche de toutes les difficultés à l’interpréter.
Mais très vite, la réticence qu’il ressent face à l’œuvre antique mute et s’érige en amour, en passion, voire en obsession. « On se rend rapidement compte du mérite qu’a l’œuvre à être réadaptée et mise à jour » raconte le contre-ténor. « Peu à peu, je me suis surpris à penser à ses paroles et ses dialogues sous la douche, en faisant du sport. Son effet était pour moi semblable à celui d’une drogue ».
Bientôt, et après 1 mois et demi de répétitions intenses, il foulera, avec sept autres chanteurs lyriques venus des quatre coins du monde, les opéras de Berlin et du Maroc à l’occasion d’environ quinze représentations pour la re-création mondiale de cet opéra où comique et caractérisations dramatiques des personnages se rencontrent. Une première pour l’Empire chérifien, dont les terres portent les trois actes de l’Ormindo. Pour Matteo, aller au Maroc était une étape incontournable. « C’est une double histoire d’amour qui lie la reine à deux généraux du roi du Maroc, Ormindo et Amida. Pour retranscrire authentiquement le livret de Giovanni Faustini, il était donc indispensable de s’imprégner de la ville, des costumes, des modes de vie » explique l’ancien candidat à The Voice, pionnier de la musique baroque au Liban et au Moyen-Orient.
S’il quitte Beyrouth pour Paris à l’âge de 18 ans pour signer avec Universal music France, le natif du Liban n’en perd pas pour autant son patriotisme et sa dévotion pour son pays. Il reviendra bien sûr, et participera notamment à la clôture du Festival de Beiteddine en 2008. Passionné, Matteo El Khodr entend démocratiser l’opéra dans sa région, et dépouiller de ce genre théâtral ses accents élitistes. C’est aussi à son pays qu’il pense lorsqu’il signe le contrat de l’Ormindo de sa griffe libanaise. « Plus que jamais, les libanais ont besoin de rêver » lance-t-il. « Les représenter dans ce projet international, c’est aussi la preuve que nous pouvons encore y arriver ».
Cette preuve, il en a eu besoin lui-même, entre deux vagues de la pandémie de coronavirus. Doutes, remises en question, crises identitaires, le chanteur a subi ces deux dernières années les supplices propres aux artistes pris dans un cataclysme. « Les artistes n’ont pas ce détachement entre vie personnelle et vie professionnelle. Moi, ma vie professionnelle c’est ma voix. Ma vie personnelle, c’est aussi ma voix. Si je ne peux plus chanter, je ne suis plus artiste, et je ne suis plus moi. Voilà pourquoi cette opportunité, plus que d’être un tremplin pour ma carrière, est une véritable renaissance ».
Symboliquement, la re-création - également diffusée en streaming pour les absents - semblera donc être placée sous le signe de l’espoir. L’espoir, pour Cavalli, de transcender les âges sans ternir la patine de son œuvre. L’espoir pour Matteo El Khodor, de continuer à exister et faire exister son art, par sa voix et par sa tête. L’espoir pour le Liban et ses enfants, de « continuer à contempler les étoiles, même allongés dans un caniveau » comme le dirait Oscar Wilde.
Cast :
Ormindo: Matteo EL KHODR (contre-ténor)
Erisbe: Josephine Goehmann (soprano)
Amida: Ron silberstein (ténor)
Sicle: Sara Gouzy (soprano)
Mirinda: Catharina Peetz (Alto)
Osmano: Ralf Nachbauer (ténor)
Nerillo: Eduardo Rochas (contre-ténor)
Erice: Mayan Goldenfeld (Mezzo soprano)
Hariadeno: Martin Jan (basse)
(Photo Coline Dutilleul)
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