Le principe de la conférence en concert n’est pas chose facile, et rares sont ceux qui la pratiquent avec aisance. Car il s’agit de connaître à fond un sujet, de pouvoir le transmettre oralement, tout en étant capable de donner soi-même les exemples musicaux, sans avoir à recourir à des enregistrements. Or Richard Moukarzel s’est acquitté de la tâche avec un brio remarquable, sans consulter aucune note, maniant les deux casquettes de musicologue et de pianiste et réussissant à « accrocher » l’attention d’un public assez mélangé entre professionnels, mélomanes ou néophytes. Ce qui est quand même une gageure.
Le thème abordé était Les Fictions romantiques et la narration dans le romantisme allemand. Il s’agissait donc pour Richard Moukarzel d’expliquer comment la musique romantique allemande peut raconter une histoire, en prenant exemple sur trois compositeurs, Robert Schumann, Franz Liszt et Johannes Brahms.
Le récital s’ouvre avec cinq extraits des Kinderszenen (Scènes d'enfants), op. 15 de Robert Schumann. Les pièces s’égrènent avec douceur et simplicité. Le toucher du pianiste est d’une grande sensibilité et comme apaisé. Il rend parfaitement la délicatesse de ces petites miniatures. Le choix du thème des Scènes d’enfants, d’après les biographes de Robert Schumann, est sans doute dû à l’amour qu’il porte déjà à la jeune pianiste prodige Clara Wieck qui deviendra plus tard son épouse et à qui il envoie le recueil avec la mention « Il faudra te laisser aller à leur grâce toute simple, naturelle et sans apprêt ».
Puis vient Liszt et sa Lugubre gondola. Ici Richard raconte avec une extraordinaire passion et comme habité, la genèse de l’œuvre qui a été écrite par Franz Lizst à Venise alors qu’il fait une visite à son beau-père, Richard Wagner et qu’il a une prémonition de la mort de ce dernier. Prémonition qui se réalisera un mois et demi plus tard. Richard Moukarzel explique la symbolique des cloches, du brouillard qui entoure cette gondole lugubre qui glisse sans bruit sur le canal, loin de l’imaginaire ensoleillé de la Venise joyeuse et méditerranéenne. Il donne des exemples musicaux en relevant les nombreuses citations que l’œuvre fait de l’opéra de Wagner, Tristan et Yseult, et quand il se remet au piano pour interpréter la pièce en son entier, elle est tout à coup perçue tout à fait différemment, comme intériorisée par le public.
Le récital se conclut avec les Quatre ballades op. 10 de Johannes Brahms et Richard Moukarzel raconte qu’à l’origine, la ballade est un genre poétique. La première des quatre œuvres de Brahms est inspirée justement par une ballade poétique écossaise, Edward, où il est question d’un lancinant jeu de questions-réponses entre une mère et son fils, afin de le pousser à avouer le meurtre de son père et de ses frères. Richard Moukarzel rend parfaitement l’atmosphère troublée et le mystère de ces pièces étranges.
Diplômé en piano du Conservatoire National Libanais (spécialisation théorie et analyse), Richard Moukarzel est actuellement doctorant en musicologie à Royal Holloway, University of London. Son travail de recherche a pour objet l'association sémantique dans le cycle du Ring de Richard Wagner et l'émancipation du spectateur wagnérien. Il est intervenu dans plusieurs colloques anglo-saxons, notamment la conférence Wagner 1900 à l'université d'Oxford et le Young Lecturer Prize de la Wagner Society (3e prix). Il est aussi l'auteur d'articles de recherche dans des publications de presses académiques françaises (Presses Universitaires du Midi) et britanniques (The Wagner Journal). Ce jeune homme est à suivre. Il ira sans doute très loin !
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