Densité phénoménale d’émotions positives à l’époustouflant concert du célèbre musicien-compositeur libanais à Montréal
Il fallait être dans la salle Maisonneuve de la Place des arts pour comprendre l’effet euphorisant des vibrations positives. Celles de la musique intemporelle qui mélange les genres et les générations, celles des musiciens enthousiastes au faîte de leur performance, et celles de celui qui, à l’instar de son nom de scène, est l’initiateur et le maître d’œuvre de trois heures ininterrompues d’exaltation.
C’est en cascades qu’Aleph nous fait du bien durant ses concerts. Et ce n’est pas peu dire. De passage dans la métropole canadienne, après Toronto et en route vers New York et Boston, Fady Abi Saab, pour la 3ème fois à Montréal en l’espace de deux ans, a fait cet octobre, salle comble devant 1400 personnes. Cet amoureux fou du piano et dont les pores respirent la bonne musique a offert une généreuse représentation baignée dans des airs célèbres revisités aux tubes du terroir libanais, mélangés à des rythmes soutenus aux accents cubains, servis par une dizaine de musiciens qui exultent avec brio, maitrise et énormément de plaisir… Et le plaisir est contagieux…
Mais comment fait-il, a-t-on a envie de se demander, pour être si versatile dans ses arrangements adoubés aux belles sonorités ? À croire qu’il est imbibé de toutes les influences musicales qu’il tricote avec des variations à l’infini pour marier si bien les pots-pourris, la nostalgie, le folklore, l’émotion… avec toujours le même pattern. À partir de grands classiques, aussi bien occidentaux qu’orientaux on décèle une mélodie sur les premières notes par exemple du contrebassiste cubain Yelsy Heredia ou sur la guitare de Andres Vadim sur lesquels les tambourins de Ghadi Ibrahim enchaînent alors que le batteur Mario Marques rentre dans le jeu, etc. L’orchestre entier bientôt amplifiera le thème sous la direction d’Aleph qui pianote, saute sur place, fait vriller son clavier, donne le la, « le reprend » au quart de tour, augmente la cadence sur un rythme de bossa nova… Sans jamais prendre un souffle ou marquer une pause.
On l’aura compris. Le natif de Ehmej possède sa musique comme personne. Elle l’habite et pour la rendre accessible dans toutes ses nuances, il a tout simplement créé avec son frère Pierre Abi Saab pas moins qu’une compagnie qui recrute des musiciens de partout sur la planète : libanais bien sûr, mais aussi espagnols, brésiliens, américains, cubains, etc. « 8ème Art Company » qui compte 16 employés au Liban a des associés partout dans le monde, dont « Smart Production » pour l’Amérique du Nord. Cette société d’évènementiel présidée par Fouad Daye organise techniquement et commercialement des concerts de grande envergure (dont celui des Gipsy Kings, le 3 novembre à Niagara Falls en Ontario).
Avec Aleph, il y a quelques plus. Il y a sa touche pour orientaliser « La foule » d’Edith Piaf, laisser pleurer le violon de Diego Vasquez dans « Les feuilles mortes », ou se laisser bercé par le nay de Raëd Abou Kamel dans « Parle plus bas » de Dalida… Mais ce qui fait lever l’audience, c’est la joie qu’il montre à partager le bonheur de faire de la musique, en invitant des musiciens de passage à partager son plateau, tel les bassistes Michel Labaki et Philippe Dib ou même Kamaro, le chanteur-compositeur à qui on doit l’inoubliable succès « Femme like you » qu’il introduit avec Jana Salemeh qui interprète, au milieu de la liesse de toute l’équipe, le tube remixé 20 ans plus tard en version orientale, augmentée.
Mais ne vous y trompez pas : sur la scène d’Aleph, toutes les interprétations sont «augmentées » par la dynamique des joyeux musiciens qui semblent s’amuser (le violoniste qui glisse son archet sur une scie pour en tirer des sons inattendus), qui se répondent joyeusement (avec la derbaké de Chadi Saadé) sur le juteux ‘a hadir el bosta, ou qui passent la vedette à d’autres pour des solos encore plus percutants, alors que le reste de la troupe, chacun sur son instrument, reprend la mélodie, (Ahwak, itmanna law ansak), la psalmodie, l’enrichit, etc. Le tout interprété avec tant de spontanéité (le contrebassiste cubain qui ôte son veston pour exécuter quelques pas de danse) qu’on se serait cru dans ces soirées où de gais lurons en oublient le programme et leurs partitions pour se livrer à la jouissance que seuls les musiciens en plein contrôle de leur art peuvent éprouver et communiquer.
Et c’est peut-être ce qui reste de ce concert ininterrompu de 170 minutes, largement improvisé : beaucoup de joie. Du moment où le chanteur en tunique rouge a posé ses doigts sur son piano jusqu’à l’épuisement des mains des spectateurs, rompues aux applaudissements, il y a le plaisir d’écouter Bhebak ya libnan, mais il y a surtout cette émotion des retrouvailles autour de la musique libanaise que le kanoun de Jihad Assad sublime, l’énergie débordante qui invite le public à s’éclater avec Coucou coucou, inta ahla elnass ya omari ou les morceaux de la fin du spectacle qui se terminent en apothéose, autant dans le zourouni bil sinneh marra éclairé par les portables du parterre que dans بنت الشرابية interprété avec tant de sensibilité que les larmes sont venus en renfort aux youyous de la salle.
Les infos étaient loin, la guerre oubliée, l’inquiétude au vestiaire… Aleph a offert une halte aux blessures trop profondes de son pays. Il a offert un concert si intense qu’il semblait vouloir s’échapper des murs de la salle, un peu comme une prière.
Aleph, après trois concerts à Paris, Berlin et Genève, début octobre, continue sa tournée Danse of Sands en France à :
Nice, le 10 novembre 2024
Toulouse, le 11 novembre
Lyon, le 14 novembre
Montpellier, le 17 novembre
Bordeaux, le 18 novembre
Strasbourg, le 30 janvier 2025
Et à Bruxelles, le 1er février 2025
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