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Hommage à Joseph Tarrab

03/01/2025|Nelly Helou

Joseph Tarrab, critique d'art, écrivain et journaliste nous quittés le 1ᵉʳ janvier 2025. Officier de l'Ordre national des arts et des lettres, il restera une figure de la scène artistique libanaise.

Retour sur une interview exclusive avec Nelly Helou datant du 23/12/2016

 

L’Agenda Culturel va à la rencontre de personnalités du monde culturel dont certains travaillent loin des projecteurs. Nous souhaitons rendre hommage à ces femmes et à ces hommes en témoignage de reconnaissance pour leur engagement dans la vie culturelle libanaise et pour leur contribution continue à son développement.

 

On peut passer des heures à écouter Joseph Tarrab nous parler d’art, de théâtre, de cinéma, évoquer la période florissante des années 50- 75, les transformations socioculturelles dues à la guerre, les risques qu’il a encourus durant cette période... Sa vie regorge de péripéties qu’il pourrait raconter dans les nombreuses langues qu’il connaît.

 

Très jeune Joe Tarrab a été immergé dans le monde des lettres, des arts, de la politique... Son père Jacques Tarrab avait une des premières agences de publicité et faisait de la peinture à ses heures perdues. ‘‘Dès mon plus jeune âge, je me rendais à son bureau, je lisais la presse, tapais sur une vieille dactylo, côtoyais des gens de tous bords’’.

 

Le cinéma et le théâtre le passionnent. Dès l’adolescence, il devient un assidu du ‘Ciné-club de Beyrouth’ où ‘‘Henry Seyrig, directeur de l’Ifapo, et quelques autres intellectuels m’ont appris à analyser l’image et la narration cinématographique. Ce précieux bagage a guidé par la suite mon approche de critique d’art’’. ’’Côté théâtre, le Centre universitaire d’études dramatiques (Cued) nous a offert la possibilité et les moyens de nous éclater comme acteurs, metteurs en scène, scénographes... Avec Jalal Khoury, Roger Assaf, Paul Matar, Aline Tabet et bien d’autres, nous étions jeunes et nous osions tout’’.

 

Joseph Tarrab évoque longuement les années 1960 : ‘‘Ce furent des années cruciales de transformation du Liban. Avec l’afflux des capitaux arabes, tout a prospéré : la presse, les maisons d’édition, les revues de culture et de poésie, l’architecture, la ville de Beyrouth elle-même qui a entamé un développement urbain irrésistible avec de nombreux réfugiés des pays avoisinants... C'était un bouillonnement à tous les niveaux, avec une culture du dialogue, une convivialité entre les classes dues à la structure du Centre-ville, lieu de rencontre entre gens de tous les bords et moteur de la ville, mélange chaotique de toutes les fonctions urbaines : les souks les églises, les mosquées, le parlement les journaux, les cafés, les cinémas, les moyens de transport, les cimetières, les bars... Puis ce fut la période de la rue Hamra avec le cinéma éponyme et le célèbre café Horseshoe, devenu le lieu de rencontre des intellectuels, des gens de théâtre, des cinéastes, des journalistes, des hommes politiques. Mémorable...’’.

 

Mordu par le journalisme

Tarrab entame sa carrière en 1963 comme critique de cinéma au journal Le Soir, écrit des articles dans l'Orient littéraire, et s’initie au journalisme politique dans Le Jour auprès de Issa Ghorayeb et Marwan Hamadé, tout en faisant du théâtre. ‘‘Quand je pense à cette période, je me demande comment j'avais le temps et l'énergie de faire tout cela tout en poursuivant mes études universitaires à l’Ecole supérieure des lettres et à l’USJ’’.

 

Il se rend à Paris pour un doctorat en Economie et des études d’expert démographe sous la direction du grand Alfred Sauvy. ‘‘J’étais sur le point de terminer ma spécialisation quand Georges Naccache, un passionné de culture, me demande de m'occuper d'un supplément quotidien dans le journal L'Orient. Ça m'a tenté, je suis rentré et je suis resté, bien que le projet ait fini par tourner court’’.

 

Critique d'art à L’Orient-Le Jour

De 1972 à 2004, Joseph Tarrab s’affirme comme critique d’art à L’Orient-Le Jour et au Safa avec une grande liberté de création et de pensée. ‘‘Ma culture dans ce domaine s'est faite à travers l’histoire de l’art, l’observation des peintres dans leur atelier, les voyages, les visites des galeries, des musées... La perception est complexe. Il faut apprendre à neutraliser tous les facteurs qui influencent le regard pour arriver au degré zéro du regard pour ainsi dire et, à partir de là, regarder et déchiffrer avec lucidité.

 

Ce fut ma démarche. Les peintres me disaient souvent ’’Tu nous as révélés à nous-mêmes’’.

 

La liste des artistes qu’il a côtoyés est longue. ‘‘J’ai connu Paul Guiragossian chez mon père, affirme Tarrab, il m'a impressionné et je n'ai jamais pu oublier sa façon de dessiner, de saisir au plus vite une scène, un groupe... Nous sommes devenus de très bons amis. A son atelier, on discutait technique, couleurs pinceaux. Rafic Charaf m'a marqué par cette passion qu'il avait pour l'art. Par sa forte volonté, il a su s’imposer avec beaucoup de panache. Jean Khalifé est un très grand peintre, mais mal aimé. Il a beaucoup souffert, mais a néanmoins réussi à produire une œuvre d'une luminosité renversante. Hussein Madi m'a frappé dès sa première exposition et je l'ai toujours défendu face à ceux qui lui reprochaient sa ‘‘froideur’’. Et tant d’autres encore’’.

‘‘Parmi les femmes : Saloua Raouda Choucair aurait pu être une grande artiste internationale si elle n'était pas rentrée au Liban. Huguette Caland, très tôt, a traité des sujets tabous. Juliana Saroufim avait pas mal d'audace pour l'époque’’.

 

Questions / réponses :

Que dire de nos jours ?

Je n'ai plus suivi le mouvement artistique libanais de manière assidue, mais, comme toujours, il y a du meilleur et du pire, beaucoup d’effervescence. 3 à 4 % resteront, les autres seront oubliés, comme à toutes les époques. Je relève surtout que la nouvelle génération est fascinée par la guerre, la violence, les destructions, la critique du statu quo. Peut-être est-il temps de passer à autre chose, de déployer une créativité moins obsessionnelle, plus ouverte à la nouveauté, l’inattendu. L'humanité a toujours été en guerre. L’art est pulsion de vie, de liberté, de paix.

 

Faut-il démocratiser la culture ?

La culture, qui était élitiste, est devenue populaire. Mais la mondialisation à laquelle on assiste de nos jours est plutôt une uniformisation par le bas. Il s'agit moins d'apporter l'art aux gens que d'élever les gens au niveau de l'art. La véritable initiation commence par la famille, l'école, l'éducation. Il faut familiariser les enfants et les jeunes avec la vie culturelle effective et non seulement livresque ou festive. Faire visiter des musées, des galeries d'art, animer de véritables ciné-clubs... D’après mon expérience cela ne sert à rien sans bases culturelles solides. C’est un long processus. Voyez ce qui se passe quand on invite des gens pour faire nombre dans les Festivals. Au bout d’une demi-heure, ils commencent à s’agiter, à bavarder et à se défiler.

 

Vivez-vous dans la nostalgie du passé ?

Toute ma vie, j'ai appris qu'il faut tourner la page, ne pas regarder en arrière pour ne pas se transformer en statue de sel. Mais je regrette la culture conviviale du centre-ville qui été détruit sciemment à mon avis pour nous couper les uns des autres. Le centre-ville est devenu un ghetto pour riches. J'essaye de vivre l'époque comme elle vient, au jour le jour, en regardant le bon côté des choses, la formidable effervescence culturelle en dépit du négativisme ambiant. Quant à la langue française, bien qu’elle semble en train de mourir d'une mort lente, mais inéluctable, on n'a jamais publié autant de livres, de revues. Le chant du cygne peut-être. Ou peut-être un nouveau chant du coq.

 

Propos recueillis par Nelly Helou

 

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