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Musique de chez nous, mémoire de nos émois - 6

30/12/2024|Jocelyne Dagher Hayek

''La Musique donne une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée''. Platon


Pour apprécier et saisir la portée de cet article, il est fortement recommandé d'ouvrir les liens proposés.

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La mort véritable est dans l’oubli. Effacer la mémoire est le plus grand préjudice que l’on puisse porter à l’avenir. Sans histoire, nous sommes réduits à des électrons libres à la merci de forces contraires. Bâtir sur du vide n’est pas porteur par définition. Alors, malgré les guerres, l’oppression, les exodes, la politique de la terre brûlée, gardons au fond de notre cœur, dans les replis de nos souvenirs, des lieux, des images, des mélodies que personne ne peut atteindre et détruire, un ancrage fort, une source profonde et intarissable, d’où pourront rejaillir tous les possibles.


Les Frères Rahbani



Assi (1923-1986) et Mansour (1925-2009) Rahbani, composants essentiels du paysage musical libanais, sont originaires d’Antelias. Les 2 frères naissent dans une famille particulièrement attachée à la musique et à la poésie. Leur grand-mère maternelle, analphabète mais férue de poésie, récite à ses petits-enfants toutes sortes de poèmes. Leur père Hanna, mélomane et joueur de buzuk pour les clients de son café, sensibilise ses enfants à la musique.

En 1938, le père Boulos Achkar fonde une chorale à l’église d’Antelias. Les 2 frères l’intègrent. Ils n’ont pas d’instruments de musique à la maison. Ils s’exercent donc sur le piano et l’orgue de l’église. Ils poursuivent leur formation musicale au Conservatoire Supérieur de Musique de Beyrouth et à l’Alba, puis se perfectionnent en disciplines théoriques auprès de Bertrand Robilliard.

Vers la fin des années 40, leur père décède. Les 2 frères s’engagent donc dans la police pour subsister mais ne lâchent pas la musique pour autant. Avec des amis, ils fondent le Club Culturel d’Antelias et commencent à composer des chansons qui ne tardent pas à attirer l’attention des professionnels du métier.  En effet, Assi et Mansour vont à contre-courant de la tradition musicale arabe qui privilégie les chansons-poèmes épiques, longues et complexes. Leurs chansons sont courtes, débarrassées de la notion d’improvisation. Assi écrit généralement la musique tandis que Mansour signe les textes. Ils signaient « Les frères Rahbani ».

Leur première interprète sera leur sœur, Salwa Rahbani, connue sous le nom de scène de Najwa. Avec sa voix d’or, elle chante, le plus souvent en direct, les chansons de ses frères à la radio. Salwa est la mère du compositeur et poète libanais Béchara El Khoury établi en France.

Le directeur de la radio libanaise remarque les 2 frères et les recrute dans l’orchestre de la radio à laquelle ils apportent leur nouvelle direction artistique en 1945. Ils composent de nombreuses œuvres et une série de sketches intitulée « Sabeh et Makhoul ». Ils y rencontrent Toufic el Bacha, Zaki Nassif et Philémon Wehbé avec lesquels ils formeront le fameux groupe des 5 (libanais) à l’instar du groupe des 5 compositeurs russes qui au début du 20eme siècle ont révolutionné la musique russe (Borodine, Moussorgski, Cui, Balakirev, Rimski-Korsakov).

C’est toutefois la rencontre avec Nouhad Haddad qui constituera la genèse du phénomène musical libanais que le trio incarnera.


En 1951, Halim el Roumi, directeur musical de Radio Liban, présente Nouhad Haddad, qu’il a surnommée Fairuz , aux frères Rahbani. Ces derniers, subjugués par sa voix, se mettent à lui composer chanson après chanson. Leur collaboration va durer plus d’un demi-siècle. En 1954, elle épouse Assi Rahbani. Le trio va révolutionner le paysage musical libanais. Mélange de folklore libanais, de musique savante à l’occidentale, de patrimoine arabe et de musique liturgique, la production musicale des frères Rahbani va de la variété, au cinéma et à un genre nouveau de théâtre chanté que l’on qualifiera de style Rahbani.



Le secret du style Rahbani sera de mélanger tragédie et comédie. Ce théâtre, différent de la norme internationale pour les opéras, se concentre sur 3 sujets principaux : Dieu, l’être humain et la terre. Le style Rahbani établit une relation mystique entre foi et amour qui apporte justice, bien et paix.  Le cadre est souvent un village, les personnages pittoresques et drôles, l’atmosphère folklorique, le dialecte libanais, le lyrisme permanent, la mélodie légère, la chorégraphie soignée, la dabké omniprésente. Ce théâtre traite de l’histoire, du pays, de l’avenir, du destin des pauvres et du peuple. Il aborde les problèmes socio-politiques du monde arabe, notamment la crise palestinienne. Le public accroche.

Assi et Mansour ont produit 22 comédies musicales et un millier de chansons. Leurs pièces de théâtre, poèmes et mélodies ont été introduits dans les programmes d’universités réputées du monde entier, notamment la Sorbonne, Harvard, Oxford ainsi que dans les universités arabes et libanaises. Le trio fait connaître le Liban à l’étranger.



La formation orchestrale des frères Rahbani est proche d’un orchestre classique auquel viennent s’ajouter quelques instruments orientaux plus ou moins communs. Le buzuk est une pièce maitresse de leur orchestre. La poétique et la musique des 2 frères ont été magistralement portées par la voix de Fairuz. Le trio a donné une identité musicale au paysage culturel libanais. Le Liban utopique, idéal, heureux, sublimé des premières œuvres est devenu plus problématique et réaliste dans les productions qui ont suivi.

Assi décède en 1986. Il ne s’était jamais complètement remis d’une hémorragie cérébrale dont il avait été victime en 1972. Mansour continuera sa carrière avec le support de ses enfants et montera de nombreuses pièces de théâtre toujours centrées sur l’homme, la patrie, la terre, le courage. Sa dernière pièce « Le retour du Phénix » se jouait encore à Beyrouth lors de son décès en 2009.


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