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Le Pays amer de Georgia Makhlouf

18/01/2025|Zeina Saleh Kayali

Pays amer (Presses de la Cité) est le troisième roman de Georgia Makhlouf. Il met en scène deux photographes libanaises, à un siècle d’intervalle. Cet aller-retour entre les années 1920 alors que le Liban se construit, et l’année 2020 où il achève de se déconstruire, est conduit d’une écriture puissante et sensible, entre fiction et réalité puisque l’une des deux protagonistes est inspirée d’un personnage réel, Marie El Khazen, toute première photographe libanaise. Entretien avec l’auteure.


Quelle est la genèse du roman ?

Au départ, j’avais un projet très différent : Je voulais écrire un roman sur Beyrouth avec comme personnage central, Mona, jeune photographe rebelle, et raconter la ville à travers son regard. Mais lors d’une exposition de photos à Beyrouth, j’ai découvert les clichés de Marie El Khazen et le roman a alors changé de centre de gravité. Parce que cette découverte a été pour moi un coup au cœur. J’ai commencé à me renseigner à son sujet et j’ai rencontré Mohsen Yammine, collectionneur, qui m’a donné un grand nombre d’informations sur elle.  Deuxième coup de cœur, il me fait découvrir la maison de Marie à Zghorta. Un palais extraordinaire complètement laissé à l’abandon et qui figure d’ailleurs sur la première de couverture du roman.


C’est alors que Marie rebaptisée Karam pour le roman est devenue l’alter ego de Mona ?

Oui et le roman se déroule en une alternance entre le journal (fictif !) de Marie et les chapitres consacrés à Mona. Au fur et à mesure que Mona découvre le journal de Marie, elle se sent beaucoup d’affinités avec elle. Les deux femmes, à un siècle d’intervalle, ont vécu les mêmes difficultés à s’affirmer comme photographes. Evidemment en 1920 il n’était pas question qu’une jeune fille passe son temps à autre chose qu’à attendre le sacro-saint mariage, et Marie, qui voulait s’affranchir et vivre sa passion pour la photographie, était considérée comme la honte de sa famille. Bien sûr la société a évolué en un siècle, mais quand même, en 2020, la pression familiale et sociale reste toujours forte et, Mona, qui choisit un métier marginal et vit une histoire d’amour hors des sentiers battus (qui finit très mal), est, elle aussi, ostracisée par les siens.


C’est donc un roman féministe ?

Absolument ! A l’époque de Marie, les balbutiements du féminisme commencent, venant notamment de la Nahda le mouvement de renaissance culturelle qui avait débuté en Egypte. Certaines femmes décident de s’émanciper et au fil du roman l’on découvre des figures féminines et féministes libanaises qui étaient pionnières en leur temps mais qui sont tombées dans l’oubli. Comme Julia Demeschkiyé qui fonde un journal et Anbara Salam qui ose ôter son voile en public alors qu’elle donne une conférence à l’Université américaine de Beyrouth. Beaucoup de femmes l’imiteront et susciteront des réactions d’une très grande violence.


La famille de Marie finit par la faire enfermer ?

Oui comme c’est hélas souvent arrivé y compris en Europe, souvenez-vous de Camille Claudel.... Quand la famille n’arrivait pas à « mater » une âme rebelle, elle la faisait passer pour folle et l’enfermait. Marie se retrouve ainsi à Asfourieh (la maison des fous). Pour sa famille, elle avait été trop loin dans son émancipation en organisant une exposition de ses photos où l’on voyait (entre autres) des femmes habillées en hommes !


Et c’est là que vous imaginez une rencontre, décrite de façon poignante, entre elle et la poétesse May Ziadé ?

Oui, c’est une rencontre fictive, mais les dates de l’enfermement des deux femmes correspondaient. May Ziadé, après le décès de ses parents et de Gibran Khalil Gibran avec qui elle avait entretenu une relation épistolaire de plus de vingt ans, était rentrée d’Egypte vers le Liban où elle pensait trouver du réconfort auprès de son cousin. Au lieu de cela, il lui fait signer des papiers la spoliant de son héritage et la fait enfermer à Asfourieh. Une biographie remarquablement documentée vient d’ailleurs de lui être consacrée par Carmen Boustani aux Editions des femmes Antoinette Fouque.


Pour en revenir à la ville de Beyrouth qui, à l’origine, était le sujet principal du roman, vous la décrivez oscillant entre splendeur et horreur. Pourquoi des sentiments si contradictoires ?

Venant très régulièrement à Beyrouth, j’ai été frappée, au fil de ces dernières années, par le changement de la ville. Il ne reste plus grand-chose du Beyrouth patrimonial. Des restaurants et cafés ouvrent puis ferment en l’espace de quelques mois, des rues et des passages n’existent plus et, en 2015 une terrible « crise des poubelles » l’a transformée en un immense champ de détritus. Une ville que l’on laisse se désintégrer, dans laquelle il n’y a pas d’urbanisme, dont les égouts ne sont pas entretenus avec comme point d’orgue l’effroyable explosion du 4 août 2020 qui en a détruit une bonne partie. Malgré tout cela, Beyrouth a une attractivité folle, un charme vénéneux auquel on ne peut se soustraire. Et cet attachement irréductible est totalement viscéral. D’où d’ailleurs le titre du roman, Pays amer. L’amertume d’une ville qui se délite sous nos yeux.


Que faut-il vous souhaiter ?

Que le roman suscite suffisamment d’intérêt pour déboucher sur une volonté de réhabiliter la mémoire de Marie et surtout sa maison ! Ce lieu incroyable est actuellement en ruines, occupé par des réfugiés syriens. Or c’est une merveille architecturale et patrimoniale. Idéalement (cela semble utopique mais il n’est pas interdit de rêver !) le ministère de la Culture le réhabiliterait pour en faire un lieu d’exposition et de formation pour jeunes photographes.



Deux séances de dédicace sont prévues à Paris :

Le 1er février à 16H30 à la librairie La terrasse de Gutenberg 9, rue Emilio Castelar 75012 Paris, rencontre animée par Cécile Oumhani

Le 8 février à 16H à l'Institut du Monde Arabe IMA , rencontre animée par Bernard Magnier



 

 

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