L’Instruction, Isabelle Sorente, JC Lattès, 2023

Un livre qui vous obsèdera, vous fera revoir tous vos réflexes et votre perception des choses, des humains, des animaux… De votre conception de la vie.

L’auteure est journaliste, auteur, communicatrice et passe sa vie à courir, à se dépenser, sans plus savoir pourquoi et jusqu’à quand. Épuisée, à la recherche de son âme avec qui elle n’arrive plus à connecter, elle fait la ronde des méthodes douces, des gourous avant de rencontrer un grand maître qui lui parle de « L’Instruction ». Un mystérieux exercice d’empathie qui lui permettrait de se reconnecter à elle-même et à ses désirs profonds. Il lui intime une consigne : « Regarde dans les yeux d’un animal qui va à l’abattoir. »

C’est ce qu’elle va faire et la voilà immergée dans une production automatisée de viande de porc. Dans ces endroits sordides qu’on intitule faussement « élevage industriel », elle évolue carrément dans un abattoir d’animaux. Très vite son enquête initiatique l’enfonce dans un gouffre profond. Celui de la barbarie humaine qui s’acharne sur des êtres vivants comme si c’étaient des objets, dans une porcherie « industrielle » où naissent, grossissent, enfantent des porcs et des truies avant d’être acheminés, comme des robots, sans âme dans le couloir de la mort pour avoir la tête tranchée, à raison de six à la minute.

L’expérience menée pour les besoins d’un roman sont le prétexte pour elle de pénétrer dans le cœur de cette machine. Pas de statistiques, ni de modes d’emploi, ni de rapports froids et impersonnels, mais une incursion avec ses tripes dans cet univers ignoble bien protégé à l’abri des yeux du monde.  

Tout ce qu’elle voit nourrit et hante la réflexion de la romancière. Elle écrit, souvent en différé tant son malaise est fort, pour décrire son ressenti qui, une fois retournée chez elle, demeure obsédé par des images d’horreur dans cet antre de la sauvagerie : les employés qui masturbent régulièrement les mâles parqués dans leur enclos pour ensemencer les femelles qui, après avoir été inséminées avec une seringue, passeront tous les mois de leur gestation debout dans un espace qui peine à contenir leur ventre qui grossit;  Les truies qui mettent bas et à qui on arrache les petits pour les gaver jusqu’à qu’ils soient en mesure de procréer à leur tour;  L’identification par un numéro, à l’instar d’un produit, de chaque animal qui  mange et fait ses besoins sur place, sans communication avec ses semblables, sans jamais voir l’extérieur; Son destin de chair à viande, une fois sa tâche terminée, qui le conduit au train de la mort, un long corridor qui le mène sur un toboggan où il glissera inerte avant que la lame du boucher le décapite avant qu’il ne passe à l’éviscération… L’indescriptible.

Avec beaucoup de sensibilité, cheminant dans sa quête spirituelle, l’auteure n’omettra pas de nous raconter les dépressions des porchets à qui on demandent, dès leur embauche, de ne jamais au grand jamais penser que ce sont des êtres vivants, mais juste des objets de consommation à exploiter pour des impératifs de productivité…

Un roman dur et puissant qui repousse les limites de notre humanité et interroge notre conscience.