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Nous étions la forêt : une ode écologique à l’interdépendance et à la résilience

14/01/2025|Léa Samara

Avec Nous étions la forêt, Agathe Charnet signe une fresque théâtrale et musicale profondément ancrée dans les crises écologiques et humaines de notre temps. Entre poésie, engagement politique et exploration des interconnexions humaines et naturelles, cette pièce s’affirme comme un manifeste artistique et sociétal d’une rare intensité. Entretien avec Catherine Otayek, une des actrices de la pièce, libanaise et fière de l’être.

 

Une écriture collective, reflet des voix de la troupe

Nous étions la forêt naît d’un processus créatif atypique. Écrite par Agathe Charnet, qui a puisé son inspiration dans les improvisations et les voix des interprètes, la pièce se déploie comme une œuvre collective. « Elle a écrit en entendant nos voix », confie Catherine Otayek, l’une des actrices. Libanaise d’origine, comédienne et chanteuse, Otayek incarne Selma, une ornithologue (spécialiste des oiseaux) dont l’histoire s’entrelace à celle du bois de la Fermette, forêt fictive menacée par un projet de parc solaire. Le texte, fruit de résidences dramaturgiques immersives en milieu forestier, rassemble des récits, des émotions et des perspectives variées. Ce dialogue entre les acteurs et l’autrice confère à l’œuvre une authenticité vibrante, où chaque personnage porte une voix unique, représentative des fractures et des espoirs de notre société.

 

La forêt, miroir de l’humain et des crises contemporaines

Dans cette pièce, la forêt n’est pas seulement un lieu. Elle est un personnage à part entière, métaphore de la complexité de nos écosystèmes et symbole de la vulnérabilité humaine face aux crises climatiques. « Nous sommes analphabètes de la forêt et de la nature », souligne Catherine Otayek, évoquant les découvertes qu’elle a faites lors de la création, tels que la communication des arbres par des réseaux fongiques, un échange indispensable à leur survie. Lors d’une dispute entre Selma et son amoureuse, elle lui assène: “l’autonomie dans les écosystèmes, ça ne marche pas”. Cette interdépendance des arbres dans la forêt devient une analogie puissante des liens humains, un écho à la fragmentation mais aussi à la nécessaire solidarité dans des contextes – écosystèmes ! – complexes comme celui du Liban.

 

Agathe Charnet s’appuie sur des références scientifiques et philosophiques solides. Les travaux de Baptiste Morizot, par exemple, enrichissent la dramaturgie, rappelant que la forêt est « le chemin privilégié pour changer de relation au vivant ». À travers des dialogues subtils et une pédagogie implicite, la pièce intègre des données issues du rapport du GIEC et d’autres études scientifiques, tout en évitant le didactisme lourd.

 



Selma : une voix universelle et militante

Le personnage de Selma, incarné par Catherine Otayek, se démarque par son identité riche et complexe. Ornithologue, scientifique, chanteuse lyrique renversante, queer et arabe, Selma transcende les stéréotypes souvent associés à ces identités. « J’ai insisté pour que Selma ait un prénom arabe », explique Otayek. Ce choix revendique une représentation réaliste et positive des arabes dans les médias, en refusant de les enfermer dans des rôles réducteurs. Selma devient alors un symbole de l’altérité intégrée, normalisée, mais jamais effacée : “C’est une arabe qui ne joue pas seulement le rôle d’une arabe”. Ce positionnement rejoint un engagement personnel de Catherine Otayek : dénoncer la déshumanisation des populations arabes dans les discours médiatiques, en référence aux conflits comme celui de Gaza. Selma n’est pas seulement un personnage : elle est une affirmation politique et culturelle. Elle s’exprime notamment à travers une subtile analogie entre les petits de la femelle du coucou (espèce d’oiseau), pondus dans le nid des autres espèces, qui dévorent les petits “autochtones” un part un, et la colonisation.

 

Espoir, communauté et résilience : un théâtre d’action

Face à la montée de l’éco-anxiété, Nous étions la forêt refuse le désespoir. La pièce, portée par des compositions musicales originales et des éléments lyriques, insuffle au spectateur un élan d’espoir et une volonté d’agir. Toutefois, un seul parti pris sur la forêt ne domine pas dans les dialogues; plusieurs facettes sont ainsi explorées au travers des personnages qui les incarnent. Ces derniers, bien que confrontés à des dilemmes tragiques, entreprennent une quête collective pour « faire société ». La forêt devient alors un espace de reconstruction, de résistance, et de rêve. « Construire des cabanes, vivre ensemble, revenir vers la communauté », tels sont les messages portés avec force.

 

Cette quête résonne avec les récents combats politiques et sociaux en France, tels que les mobilisations collectives face à l’extrême droite ou la défense des biens communs. La pièce s’affirme ainsi comme une réponse artistique à la polarisation du monde contemporain, un appel à la solidarité et à l’action.

 


Une démarche éco-responsable au cœur de la création

L’engagement écologique de Nous étions la forêt ne s’arrête pas à son contenu. Il se prolonge dans sa conception même. Scénographie réalisée à partir de matériaux recyclés, costumes de seconde main, transports mutualisés, consommation d'électricité réduite: la pièce adopte une démarche éco-responsable exemplaire. Ce choix artistique est une extension naturelle du message porté par l’œuvre : agir concrètement, réduire son empreinte, et prouver que d’autres modes de création sont possibles. La mise en scène intègre également une montée progressive de la température, une métaphore saisissante du réchauffement climatique.

 

À travers des monologues poignants, comme celui du garde forestier Boris, la pièce illustre les contradictions d’un monde où la nature est à la fois refuge et ressource exploitée, lieu de sérénité absolue toutefois pressurisée pour son exploitation: “On considère la forêt comme quelque chose qui est utile, et pas comme quelque chose qui est, simplement”, ajoute Otayek. Le calme de la forêt au lever du soleil, “le plus bel instant de la Terre, celui juste avant le surgissement” entre en contradiction avec le téléphone du garde, le rendu du nombre d’arbre abattu qu’il doit faire, ses ordinateurs.

 

Vers un théâtre de l’avenir

Nous étions la forêt est bien plus qu’une pièce. C’est une réflexion profonde sur nos liens à la nature et aux autres, un cri d’amour pour un monde en voie de disparition, et une tentative audacieuse de réinventer l’avenir. Par la force de sa dramaturgie, la richesse de ses personnages et l’intelligence de sa mise en scène, cette œuvre s’impose comme une comédie musicale colapso, selon les mots de la metteuse en scène. En prenant part à cette expérience immersive, le spectateur ressort non seulement ému, mais également avec l’envie urgente de bifurquer, comme le suggèrent Agathe Charnet et ses collaborateurs, pour tracer des chemins vers un futur plus solidaire et durable.

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