ArticlesEvénements
Aujourd'huiCette semaineCe weekend

Pour ne rien manquer de l'actualité culturelle, abonnez-vous à notre newsletter

Retour

Partager sur

single_article

Ramdam au Gymnase : la tolérance à l’assaut du harcèlement scolaire

13/04/2025|Briac Saint Loubert Bié

Le samedi 12 avril dernier s’est produite la première de Ramdam au Gymnase au théâtre Le Monnot. Une pièce de Caroline Torbey, mise en scène par Zalfa Chelhot et interprétée par Cyril Jabre, Jana Mghames, Mhammad Swed, Chloé Laoun et Michelle Féghali. L’Agenda Culturel revient sur l'élaboration d’une pièce porteuse de lumière et d’espoir, qui condamne le harcèlement en appelant au vivre-ensemble.

 

Caroline Torbey, d’écrivain à dramaturge

Quand elle écrit pour des adultes, Caroline Torbey aborde des sujets lourds et sombres. À des enfants, elle transmet de la joie et de la lumière, décrit un Liban solaire et admirable. Alors, quand elle s’essaie au théâtre, l’auteure défend un sujet lourd de manière ludique et humoristique. Sa trilogie Dessine-moi un proverbe l’avait déjà projeté dans le monde de l’éducation et de la jeunesse, support dans ses interventions auprès d’écoliers. « Le proverbe est une expérience de vie, il est une leçon tirée par un ancien, reformulée en axiome et transmise. Les proverbes sont des bons conseils pour guider, faire face aux épreuves de la vie. Les enfants y sont plus réceptifs puisque ce sont des images. »

 

C’est au gré des ateliers d’écriture qu’elle anime auprès des jeunes qu’elle réalise l’ampleur du phénomène du harcèlement scolaire, souvent caché et timidement abordé par les élèves sur leurs copies. Nouveau sujet, nouveau média. Dissimulé et tu, le harcèlement doit être verbalisé et incarné, ce qui fait du théâtre le médium idéal pour que cette dénonciation soit percutante. Le jeu frappe et réactive l’imaginaire, il touche par son réalisme et amène le spectateur à se projeter dans les situations incarnées. Caroline s’attèle à l’écriture de sa première pièce, directement inspirée de ses écrits précédents.

 

Le défi de composer une pièce qui divertit pour instruire

Du roman au théâtre, il y a un monde. Pour le traverser l’auteure se réfère à Josyane Boulos. Nous sommes alors en avril 2023, Josyane est directrice du théâtre Le Monnot depuis un an, et travaille à lui insuffler un peu de fraîcheur en donnant leur chance aux jeunes comédiens de la scène beyrouthine. Caroline rédige, Josyane relis, modifie et adapte, et d’essais en corrections, au fil de multiples aller-retour entre la néo-scénariste et la productrice, le format définitif est finalement adopté : ni artifices, ni déguisement ou mascotte, ici la pièce s’appuie sur le rôle des acteurs et de cinq proverbes issus des ouvrages de Caroline Torbey adaptés en dessins animés.

« Notre volonté était de respecter l’intelligence des enfants » raconte Josyane. Refus des faux-semblants et des métaphores pour placer l’enfant face au harcèlement dans une réalité qui lui est proche. Un judicieux compromis pour intéresser les petits, susciter leur curiosité et leur réflexion, mais aussi interpeller les grands, les parents, « qui doivent mettre un point d’honneur à bannir le harcèlement dans l’éducation de leurs enfants » insiste Caroline.

 

Mettre en scène un texte francophone pour des enfants libanais

Zalfa Chelhot ne cache pas son enthousiasme : « c’est une pièce qui épouse complètement mes valeurs et mes principes ! » Aussi, s'atteler à la mise en scène tombe pour elle sous le sens. Comédienne, acting coach et metteur en scène au long cours, le cœur du travail de Zalfa s’articule autour des plus vulnérables, personnes âgées ou enfants handicapés. « Trouver de la beauté dans ce qui est brisé », voilà ce que veut transmettre la metteur en scène aux enfants ce samedi. Il s’agit de célébrer la différence, de la mettre en valeur non plus comme une faiblesse mais comme un atout, une force à exploiter.

Face à des enfants, l’enjeu est de taille. Avec eux pas de cadeau, « si vous ne les intéressez pas, ils vous le font ressentir immédiatement. » Première difficulté. À cela s’ajoute celle d’incarner un texte francophone dans un pays où l’utilisation du français est en perte de vitesse. « Ça a été le projet le plus challenging pour moi » raconte la metteur en scène. Il fallait des acteurs qui s’expriment couramment en français, mais qui soient aussi capable de ressentir dans cette langue. Sensibiliser au harcèlement c’est conscientiser l’audience du poids et de la portée des mots employés, des conséquences qui peuvent en résulter et abîmer parfois à vie. Il est donc indispensable que le comédien puisse investir et revêtir l’étendue du sens des termes qu’il emploie.



Former une troupe à l’épreuve de la guerre

Les auditions commencent le 5 avril 2024, Zalfa recrute parmi les jeunes étudiants en théâtre de Beyrouth. L’équipe prend forme, le projet prend vie, mais la guerre suspend le tout et la première prévue pour octobre 2024 est reportée. Entre temps, des acteurs se désistent, contraints par les évènements, et une troupe est reformée, mais tout est à refaire. Présente dès le début, Jana Mghames qui tient dans cette pièce le premier rôle (Yara), témoigne des multiples difficultés qui ont entravées la réalisation de ce projet. « Entre ceux qui étaient là dès le départ, et ceux qui sont arrivés en cours de route, nous n’avions pas les mêmes textes. Mais tout ce temps m'a aussi été bénéfique, il m’a permis de m'asseoir avec Yara, de la contempler et de la comprendre. » À peine diplômée, Jana choisit de placer les enfants au cœur de son travail. Celle qui se décrit comme « clown humanitaire » se lance, en juillet-août-septembre 2024, dans une vaste tournée des centres de réfugiés durant la guerre, offrant aux plus jeunes ses performances de clown. Une expérience fondatrice pour sa carrière naissante, qui lui a permis d’étoffer son personnage de Yara.

 

Josyane Boulos ne tarit pas d'éloges pour sa jeune équipe, dont elle salue « la superbe énergie ». Jeunes, ils le sont pour la plupart. Sur les cinq comédiens présents sur scène, quatre sont étudiants ou ont fini récemment leur cursus (comme c’est le cas pour Jana). Cyril Jabre, lui, a quitté les bancs de l’université depuis bien longtemps. Ce vieux routier de la scène, qui a rejoint la troupe à deux semaines de la représentation, a été le camarade et le mentor des jeunes néophytes de son art, avides de ses recommandations et de son expérience. Un rôle qui le colle jusque dans la pièce, où il incarne Abou Adal, coach de basket-ball dont les conseils permettront à Yara de surmonter le harcèlement qu’elle subit.

 

Les malheurs de Yara : puiser dans la différence de quoi surmonter la haine

Sur scène, le décor est minimaliste : un panier, trois ballons dans une cage et des tapis de gymnastique suffisent à évoquer un gymnase. Le gymnase d’Abou Adal, où s’entraîne l’équipe de basket de l’école, dans laquelle Yara tente désespérément de se faire une place. Le gymnase de ses échecs, où le bruit des humiliations répond à celui du ballon sur le parquet à chacune de ses tentatives manquées. Le gymnase dans sa tête, où le bruit ne s'éteint jamais, et poursuit jusque dans sa solitude ce grand « ramdam » du harcèlement. Yara est petite et fluette, proie facile pour ses camarades qui la chambrent sur son physique. Loin d’être dissimulé, le harcèlement qu’elle subit est décliné sous toutes ses formes : moqueries, insultes, bousculades et messages haineux sur whatsapp, rien ne lui est épargné. Persuadée qu’elle doit se muscler pour se conformer aux attentes de ses camarades, Yara s’adresse à son coach sportif, Abou Adal. Mais plutôt que de lui concocter un programme intensif de musculation, le vieux sage, placide et chaleureux, propose à Yara cinq histoires successives qui accompagneront le cheminement de la jeune fille. Progressivement, Yara comprend que dans sa différence réside les clés de sa rédemption. Le rejet des autres est alimenté par l’estime qu’elle donne à leurs critiques en s’y conformant, tandis que sa meilleure arme réside dans les talents qui lui sont propres, dans ce qui fait sa singularité.

Pathétique, dynamique, les mimiques grotesques de Yara nous font rire et sa douleur nous touche. D’entrée, elle s’attire la sympathie de son jeune public qu’on sent prêt à prendre d’assaut la scène pour la défendre de ses agresseurs. Les enfants sont captivés : quand Yara est embêtée, l'un crie « arrête ! », quand elle défie une camarade à la roue une autre lance « mais non, tu ne sais même pas faire la roue ! ». Réalisés par Weezank, les dessins animés, ludiques et entraînants, accompagnent les enfants dans le cheminement de Yara et distillent leurs bons conseils : agir, se méfier des beaux-parleurs, être tenace dans l’effort, ne pas se fier aux apparences, savoir se montrer patient. Un cheminement que suivent aussi les harceleurs. Sûr de ses talents et de sa richesse redécouverte, Yara, encouragée par son délégué de classe (Mhammad Swed), décide de faire face à ses agresseurs (Chloé Laoun et Michelle Féghali) qui, surpris par sa force et reconnaissant leur mésestime, finissent par lui présenter leurs excuses. Une fin appelant à la camaraderie et à la cohésion, qui fait écho aux mots prononcés par Caroline Torbey pour introduire le spectacle : « apprenons qu’on n’a pas besoin d’écraser pour briller ».

Le public est conquis. Parents et enfants ovationnent à grand bruit la troupe venue saluer. Jana-Yara peine à s’extirper d’une troupe d’enfants se disputant le droit d’être pris en photo avec leur nouvelle star. À la sortie du théâtre, chacun se presse pour féliciter les acteurs de ce projet, sur les visages desquels se peint une légitime satisfaction. Si cette première était destinée à promouvoir le spectacle, une deuxième semble d'ores-et-déjà assurée. Le rendez-vous est pris pour le 26 avril prochain.



 

 

 

 

 

 

 

 

 

thumbnail-0
thumbnail-1
thumbnail-0

ARTICLES SIMILAIRES

Depuis 1994, l’Agenda Culturel est la source d’information culturelle au Liban.

© 2025 Agenda Culturel. Tous droits réservés.

Conçu et développé parN IDEA

robert matta logo