Après un passage au festival d’Avignon en 2024 et au théâtre Clavel à Paris le 25 mars, Contractions, mise en scène par Rana Khoury, arrive sur les planches du théâtre Monnot à Beyrouth les 31 mars et 1er avril. Un huis clos en quatorze scènes où un duo de comédiennes s’affronte à travers un phrasé brut, ponctué de silences et relevé par un humour cynique. La pièce explore avec acuité l’influence insidieuse des rouages du système capitaliste sur nos existences, particulièrement dans le cadre de la vie en entreprise. Pour L’Agenda Culturel, Rana revient sur son parcours, son lien avec le théâtre, et cette dimension politique et militante qui traverse l'ensemble de son parcours.
Après l’explosion du port de Beyrouth, Rana s’installe à Paris avec son fils. En cherchant à l’inscrire aux cours Florent, elle y découvre des cours du soir. Elle passe les auditions et suit une formation de trois ans. Si son amour pour le théâtre avait toujours existé en filigrane, au Liban, elle avait mené une tout autre carrière : journaliste, activiste, puis directrice de création, supervisant films et campagnes. C’est au cours Florent qu’elle rencontre Mélanie Bouxière et Elara Le Floc’h, deux comédiennes qui lui font découvrir Contractions, une pièce de Mike Bartlett écrite en 2008. Séduites par son humour noir et son regard acéré sur les dérives de la modernité capitaliste, elles décident d’en monter une adaptation. En 2024, elles la présentent au festival d’Avignon, un défi relevé malgré un court laps de préparation : et ça fonctionne.
Quand le culte de la productivité capitaliste déshumanise nos vies
Pour sa première mise en scène, Rana Khoury souligne l’intelligence et la précision de l’écriture de Bartlett. Ce huis clos met en scène une manageuse interrogeant son employée sur ses relations personnelles, dans une succession de scènes qui posent des questions fondamentales sur les rapports hiérarchiques, mais aussi sur le monde de l’entreprise : où réside la frontière entre le travail et la vie personnelle ? Jusqu’où le système capitaliste, et notamment le culte de la productivité, peut-il altérer nos facultés de discernement ? À quel point sommes-nous prêts à sacrifier notre vie, notre intimité, notre santé au nom de ce système ?
À travers les dialogues tendus, les silences, l’humour cru et les non-dits, la pièce révèle le poids des injonctions du capitalisme, qui s’infiltrent dans chaque recoin de nos vies, nous transformant en objets plutôt qu’en sujets. Pour Rana Khoury, tout l’enjeu de la mise en scène réside dans un rythme réfléchi, dans les gestes et les expressions corporelles : “Chaque silence a été étudié pour préparer la phrase suivante. L’expression et le corps racontent tout.”
Se produire au Liban : l’importance de l’art dans la reconstruction
Jouer cette pièce au Liban ne revêt pas les mêmes enjeux qu’en France. Rana souligne la pression de se faire valider “à la maison”, ajoutant que, si la vie d’entreprise existe au Liban, les problématiques auxquelles le pays fait face sont bien plus graves : “Je pense que la pression du travail en France est très liée à la culture salariale, à l’entreprise. Au Liban, bien sûr, il y a la pression de trouver une source de revenus et de maintenir un statut social, mais les pressions que nous avons vécues ces dernières années sont bien plus graves.” Elle ajoute : “Le cynisme et l’humour noir de cette pièce peuvent beaucoup parler ici, car il y a une culture de cynisme et d’autodérision un peu dramatique au Liban, qui va être appréciée.”
La dimension politique reste omniprésente dans ses travaux. Pour elle, “l’art n’est pas un luxe, le théâtre est une manière de s’exprimer qui est plus tolérante et transparente.” Dans un pays en reconstruction, elle insiste sur l’importance de la culture et de la création.
La pièce Contractions sera jouée dans le cadre d’une levée de fonds pour le Beirut Spring Festival. Ce festival annuel, gratuit et ouvert à toutes et tous, a été créé en mémoire de Samir Kassir, intellectuel, journaliste et militant libanais.
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