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Anjo Rihane dans Chou Mnelboss : une bombe de talent sur les planches de Montréal

04/12/2024|Gisèle Kayata Eid, Montréal  

Elle joue, seule, les péripéties de toute une famille du Sud échelonnées sur plusieurs années. Difficile à concevoir et pourtant c’est ce que les 500 spectateurs de la salle André Mathieu à Laval (Montréal) ont bien constaté durant l’heure et demie ininterrompue de l’unique séance   de « Chou Mnelboss » de Yehia Jaber qui, pour tout décor se contentera durant tout le monologue d’un support anodin sur lequel pendent un voile blanc et une robe de chambre.

 

Elle jouera tantôt la mère, tantôt la fille, tantôt le mari, la religieuse, la femme voilée, ou encore le soldat… Le tout avant même qu’on ne réalise qu’elle a changé de caractère. Elle simule des dialogues de couple, des discussions en famille; elle incarne des scènes autour d’un feu, dans le bain, sur le bord de l’eau, en chemin; elle fait la guerre, la grande dame, la pauvre femme, la directrice d’école…  Avec pour tout compagnon un mouchoir blanc qui fait office le temps d’une réplique de ventre de grossesse, de poupon, de drapeau, de journal, de fusil, de boîte à musique…. Sa voix change, sa posture aussi et c’est un nouveau personnage qui répond au premier qui renchérit… Une queue de cheval qui se met à l’avant, puis se rabat à l’arrière pour camper l’enfant et le fameux carré blanc qui de collerette de bonne sœur se transforme en voile intégriste, juste en le glissant derrière les oreilles… Un tourbillon de mots, de gestes, de mouvements, de réparties judicieuses, de boutades bien ciblées et autant d’émotions….



Celle qu’on ne présente plus, la favorite du public, Anjo Rihane, bourlingue avec Moujaddara Hamra depuis cinq ans. À Montréal puis à Toronto cette fin de semaine de novembre, pour trois séances avec son spectacle culte et son nouveau succès livré au printemps passé, Chou Mnelboss, elle a offert un torrent d’énergie, de professionnalisme, de maîtrise totale de son art, mais aussi beaucoup d’amour.

 

Un amour à double sens qu’elle avouera en toute modestie en entretien téléphonique : « J’ai eu énormément de joie à jouer au Canada. Je craignais d’être méconnue au-delà de l’Atlantique, mais finalement Tarek a eu raison de croire que tout ira bien. » Pour Tarek Sikias, qui a 20 ans d’expérience dans l’évènementiel, son coup d’essai fut un coup de maître à Montréal où il s’est fraichement installé avec sa famille. Le propriétaire de « Laser films » (au Liban) qui a voulu reprendre son travail de producteur dans le domaine artistique semble avoir eu le bon flair pour son premier évènement, en regrettant toutefois l’absence de Yehya Jaber qui n’a pas pu obtenir de visa.

 

Et c’est bien dommage en effet. On aurait tant voulu applaudir à tout rompre le génial dramaturge, rompu à l’art du théâtre qui, en un tour de passe-passe, nous emmène du rire aux larmes en glissant des messages profonds autour d’une histoire de bonnes gens sans prétention : un communiste qui croit aux valeurs démocratiques est arrêté puis libéré alors que sa quatrième fille qui, au désespoir de sa mère, n’est pas un garçon vit dans un milieu patriarcal en essayant d’y évoluer sans toutefois comprendre les infimes subtilités de son environnement, notamment en ce qui concerne les différents costumes, mais aussi, les croyances et les attitudes qu’on endosse en société.  Un texte issu du quotidien rural d’une famille du Sud qui exprime les douleurs, les inquiétudes, les déplacements forcés mais aussi les joies frugales et les envolées ambitieuses d’un peuple aux prises avec un ennemi à ses portes.

 

Avec Anjo Rihane pour seule porte-parole à sa création, un travail soutenu s’est mis en place durant plusieurs mois.  « Le texte est indiscutablement de Yehya, la mise en scène aussi, mais il me laisse la latitude d’adapter tel mouvement ou telle réplique.  En fait, nous sommes très proches. Il a été communiste comme moi, nous sommes considérés des gens de gauche, nous sommes originaires de la même région, nous avons les deux rêver de « monter » à Beyrouth. Nous nous comprenons à demi-mot. » Et cela dure depuis « Ismeh Julia » la première pièce jouée par Anjo avec Jaber en 2016.  Une collaboration qui va se prolonger d’ailleurs avec une nouvelle pièce en gestation… À suivre.

 

Serait-ce cette complicité profonde de ceux qu’on a surnommé « le duo d’or » qui serait le secret de ces deux grands noms des planches libanaises qui s’imposent par la justesse du ton, la franchise des points de vue et la capacité d’aborder des thèmes pas toujours évidents ? Probablement, mais il y a un plus : une authenticité réelle tant dans l’écriture du propos que dans son interprétation. Des professionnels humbles qui travaillent beaucoup et au long terme « La pièce peut prendre plusieurs mois avant d’être mise au point. Nous évoluons avec elle ».

 

Mais il y a surtout ce talent de la jeune actrice qui conquiert un public ébahi, admiratif devant ce flot intense de paroles du monodrame où l’action évolue uniquement par un dialogue entre des personnages fictifs.  Comment arrive-t-elle à retenir son texte sans prendre un souffle, à tenir son rôle qui se décline en une variété de tempéraments ? La réponse s’accompagne d’un sourire dans cette voix si expressive, qu’elle module à volonté.  « Je répète énormément » avouera la jeune mère de deux enfants de 12 et 10 ans qu’elle laisse durant ses absences avec leur père, lui aussi metteur en scène et directeur de photographie. « En fait nous nous partageons la tâche respectivement quand nous avons des tournées ». La jeune femme qui a  été la vedette de plusieurs feuilletons en Turquie, a joué Moujadra Hamra à Dubaï puis à Londres. Quant à Chou Mnelboss, la pièce sortie en mars à Beyrouth en est à sa première escale hors du Liban.« Espérons qu’on pourra rejoindre bientôt l’Europe et l’Amérique du Nord. »

 

Une énergie à toute épreuve, un enthousiasme communicatif, le courant passe entre elle et « les spectateurs qui veulent assister live à des histoires de Monsieur et Madame tout le monde » pour reprendre son explication du succès de ses pièces…  Les raisons pourraient être multiples, mais ce qui demeure, c’est sa présence vive, son verbe spontané et cette même personnalité chaleureuse qu’elle a gardé intacte après sa brillante prestation, à la sortie du théâtre, quand elle accueille avec joie ceux qui l’ont applaudie, cette même euphorie qu’elle révèle en toute simplicité : « Quand je suis sur les planches, que le public réagit, que j’entends leurs rires, j’ai un immense sentiment de bonheur qui me submerge. »  Serait-ce là ce supplément d’âme d’Anjo qui la transfigure avec tant de bonheur ?  

 

Chou Mnelboss sera au Monnot les 21 et 28 décembre 2024 et Moujadra Hamra, les 22 et 29 décembre

 


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