Deux heures durant, Zico House a vibré sous les coups des puissantes basses du Sub_Bar Show, le 25 avril dernier. Ce genre musical émergent ne pouvait trouver meilleure place beyrouthine pour son expérimentation internationale.
Bienvenue chez Zico
Pour trouver la maison de Zico il faut fureter un peu. Une haute baraque derrière un mur d’une rue de Hamra, personne à l’entrée pour accueillir ni d’affiche pour avertir, bref, à première vue, rien de l’extérieur ne laisse supposer la présence d’un espace culturel. C’est seulement la maison de Zico. Lui ne s’y pavane pas, il est simplement l’hôte, gaillard et bon enfant, gapette vissée sur le crâne, servant la bière derrière le comptoir ou se glissant de groupe en groupe sur la terrasse. Entrer chez Zico c’est d’emblée se faire son invité, « le seul prix à payer est l’idée que tu apportes avec toi. »
Zico lui-même ne sait plus très bien d’où lui vient ce surnom, ni comment sa maison est devenue un espace de création et d'interprétation. À l’entendre, tout cela est venu spontanément, presque malgré lui. Des amis peut-être, au début du moins, mais chez Zico on dirait que la porte ne ferme pas, alors les artistes débarquent et trouvent là un lieu tout entier disponible pour accueillir leur production. Et sans frais. « Je ne veux pas qu’il y est de question d’argent dans nos relations, ça brime la créativité de l’artiste, il faut qu’il soit complètement indépendant. » La condition pour se produire à Zico House ? « Si tu as une idée, tu viens et je te prête le matériel dont tu as besoin. La seule condition est qu’elle ne doit être excluante pour personne. » À bon entendeur… La maison de Zico est celle de tous les artistes émergents qui ont quelque chose à dire, à partager et à transmettre. Leurs œuvres y sont considérées à égalité, sans préjugés ni distinctions.
Sub_Bar : une musique à ressentir, non à écouter
Ce soir c’est Sub_Bar show. Les “sub bar” ce sont ces basses puissantes et graves activées à des moments clés d’un morceau, qui vous font trembler les os et dresser les cheveux en boîte de nuit ou lors d’un concert. Obtenues grâces à des subwoofers (caissons de basses) ces grondements sourds donnent une dimension plus immersive à la musique, puisqu’ils sollicitent non seulement l’ouïe mais surtout le corps par les vibrations qu’ils produisent. C’est cette mobilisation sensorielle qu’un petit groupe d’artistes, DJ reconnus où émergents, ont voulu spécifiquement explorer au début des années 2020. Pionniers du genre, ils sont entendants, malentendants ou sourds, et ne travaillent que sur les basses fréquences produites par les subwoofers. Il s’agit de promouvoir une nouvelle manière de ressentir la musique, non plus seulement dépendante de l’écoute, mais concentrée davantage sur la perception du corps. Des premières expérimentations sont organisées fin 2021 à Berlin et Lisbonne. Elles connaissent un certain succès, notamment chez les sourds et malentendants, qui vantent la stimulation interne et l’inclusivité de ce genre nouveau. Alors en avril 2025 le premier Sub_Bar Show s’exporte dans près de 30 villes à travers le monde pour promouvoir cette conception innovante de la musique.
Pour Beyrouth, c’est sur Zico que ça tombe, presque malgré lui cette fois encore. Le projet lui plaît jusqu’à ce qu’il faille payer la licence, parce que cela reviendrait à installer une billetterie à l’entrée, ce qui est déjà contraire à l’idée que Zico se fait de sa maison, mais qui l’est d’autant plus vis-à-vis du spectacle en lui-même. « Ça n’a pas de sens de faire payer les gens pour accéder à une production qui se veut inclusive ! » Séduit par l’extravagance et la ténacité du personnage, le producteur du Sub_Bar Show finit par lui céder gratuitement la diffusion.
Un nouveau genre trop inclusif ?
Dans la petite salle du rez-de-chaussée, une cinquantaine de personnes s’entassent, affalés à même le sol sur des coussins pour certains, debout contre le comptoir du bar pour d’autres, assis sur des chaises le long des murs pour les plus chanceux. Quand il ne sert pas de bière, Zico se faufile caméra en main entre les corps et deux imposants caissons noirs qui, du centre de la pièce, grondent, soufflent et font trembler avec eux le bâtiment entier. En saccades, brefs à-coups ou ronflements prolongés, les pulsations claquent, puis s’étirent et se distordent, butent contre les murs et s’éteignent dans les corps transis qui les écoutent. Comme ankylosé, on se sent vibrer tout entier et l’on craint presque que nos os se disloquent, tandis qu’une légère torpeur nous saisit.
Dans l’assistance, l’appréciation est partagée. Chez ceux qui entendent, ces surprenantes sensations ne parviennent pas à atténuer la gêne que produit l’assourdissant bourdonnement des basses. Rapidement, la plupart se bouchent les oreilles, puis, n’y tenant plus, quittent la pièce au compte-goutte à la recherche d'un endroit plus calme. À l’inverse, c’est l’extase chez les malentendants. Dès le début, des sourires s’affichent en grand sur leurs visages, d’un bout à l’autre de la pièce ils s’échangent en signes leur excitation et leurs commentaires. À mesure que la pièce se vide, ils prennent et occupent l’espace comme libérés, dansent avec frénésie selon ce que ces pulsations désordonnées inspirent à leur corps. On croirait que ces musiques n’ont été créées que pour eux. Un constat que partage Zico, touché par la joie de malentendants, mais encore insatisfait du résultat. « C’est bien mais il reste du chemin à parcourir avant de trouver un type de musique qui puisse convenir à tout le monde, qu’on soit sourd ou pas. »
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