''La Musique donne une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée''. Platon
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Elle méritait bien son nom de scène, lumineuse, pétillante, sourire radieux, exubérante. Sabah, aurore, matin, en arabe, de son vrai nom Jeannette Féghali est née le 10 novembre 1927 à Bdadoun dans le caza de Aley au Liban. Troisième fille de Georges Féghali, après Juliette et Lamia, sa naissance n’a pas vraiment ravi ses parents qui désiraient un garçon. Ils furent exaucés quelques années plus tard avec la naissance d’Antoine.
Toute sa vie durant, Sabah sera proche de sa mère et de son oncle paternel, le poète Assaad el Féghali dit « Chahrour el Wadi. (Chahrour = Merle).
Sous l’influence de sa mère, personnalité ouverte, sympathique, amoureuse des arts, qui n’hésitait pas à inviter chez elle des joueurs de Oud pour divertir la famille, Sabah est très tôt sensibilisée à la musique et au chant.
La vie familiale s’écoule calme et sereine jusqu’au décès tragique de Juliette, la fille aînée, au cours d’un incident armé dans le village. Sabah quitte alors Bdadoun pour Beyrouth où elle est inscrite dans une école publique avant d’intégrer, sur les conseils de son oncle, Chahrour el Wadi, l’école des Jésuites.
Depuis petite, Sabah souhaitait devenir une star de la chanson. Son oncle l’habitue à lire de la poésie, la sienne et celle des autres. Il lui fait connaître le zajal écrit en libanais courant et dont il est adepte. Sabah, malgré son jeune âge, chante ces vers de façon troublante ce qui fera dire à son oncle : « Elle est promise à une grande carrière dans le domaine de la chanson ».
La chose était toutefois ardue. En effet, à l’époque, envisager de faire carrière sur scène, pour une jeune fille, était mal vu. De surcroit, Sabah a un père très conservateur, un grand-père paternel curé et un oncle maternel évêque.
Mais, le destin pointe du nez. Les religieuses envisagent de donner à l’école une pièce de théâtre : « La Princesse Hind ». Elles choisissent Sabah pour interpréter le rôle principal. Enthousiaste malgré ses appréhensions, Sabah s’en tire à merveille. Toutefois, cela ne convainc toujours pas son père qui n’accepte pas que sa fille emprunte la filière du chant et du spectacle hors de l’école.
Les religieuses et sa maman vont jouer, à ce stade, un rôle déterminant. La jeune fille est douée, elle veut et aime chanter. Elle persévèrera donc dans cette voie.
Elle chante avec succès devant le syndicat de la presse, se fait remarquer par le premier ministre Riad el Solh au cours d’un spectacle de théâtre amateur à Beyrouth. On la surnomme Chahroura en référence à son oncle Chahrour el Wadi. Le directeur de La voix de l’Amérique l’encourage, loue son talent devant son père en lui disant, qu’avec un peu d’entraînement, sa fille pourrait briller dans le domaine de l’art.
Il n’en fallait pas plus pour la courageuse et téméraire jeune fille. Cependant, ses débuts ne furent pas que réussite.
A 12 ans, elle se présente au concours de Radio Orient mais n’est pas retenue à cause de son jeune âge. Elle récidive à 14 ans, réussit devant le jury mais est recalée à la suite de l’avis défavorable de Farid el Attrache, grand artiste à qui le jury s’était référé. Il lui conseille de retourner à l’école.
Qu’importe, Sabah persévère et va avoir raison de tous les obstacles qu’elle rencontrera sur son chemin pour finalement devenir une diva incontestée de la chanson arabe.
Intrépide, le cinéma la tente. L’occasion de tâter ce terrain se présente à elle en 1945 (elle a 22 ans) lorsque Assia Dagher, productrice, lui confie le 1er rôle d’un film égyptien, tourné en Egypte, intitulé « Al qalb al wahad ». Assia cherchait à concurrencer une autre chanteuse libanaise, Nour al Houda, qui avait été choisie par Youssef Wehbé pour jouer dans Al Jawhara. Jeannette Feghali prend Sabah comme nom de scène.
L’expérience n’est pas concluante. Sabah n’a aucune expérience cinématographique, elle n’est pas habituée à chanter des chansons égyptiennes, son physique ne correspond pas aux canons de la beauté en vigueur.
En Egypte, elle va connaître, à ses débuts, une période de vaches maigres. Les chansons qu’on lui propose ne sont pas à la hauteur de son talent. Elle ne marque pas les esprits et serait passée inaperçue si elle ne s’était pas ressaisie à temps. Elle change de registre, passe des chansons légères à des textes et des mélodies plus élaborées composées par Kamal el Tawil, éminent auteur compositeur égyptien. Le public est au rendez-vous. Ses capacités vocales sont mises en valeur (Large plage de voix, tessiture remarquable), ses prestations éloquentes. Sabah a le pouvoir de galvaniser la salle. Elle est proche de son public, généreuse, tout entière à son art. Elle aime plaire et elle plaît.
Les plus grands compositeurs lui écrivent des chansons : Mouhamad Abdel Wahab, Baligh Hamdi, Mouhamad el Mouji, Ryad el Soumbati et même Farid el Attrache qui s’était montré sceptique à ses débuts. La carrière égyptienne de Sabah explose. Elle enchaine film sur film (Elle en tournera 85 au cours de sa carrière).
Le compositeur et homme de théâtre Roméo Lahoud jouera un rôle majeur dans le retour de Sabah sur les planches libanaises. Leur collaboration sera longue et fructueuse. Plus de 20 opérettes à succès entre 1960 et 1997 jouées à Baalbeck, au Casino du Liban, aux Cèdres, à Byblos, et dans les plus grands théâtres de la place, Starco, Martinez, Elysées, même au plus fort de la guerre civile.
Elle part en tournée au Brésil en 1966. Une foule d’émigrés libanais et de nombreux brésiliens lui réservent un accueil chaleureux à l’aéroport. Pui, ce sera « Les nuits libanaises » à l’Olympia en 1969 pour une représentation unique suivie d’une tournée triomphale en Belgique.
Le talent et la voix de Sabah ont inspirés de nombreux poètes et compositeurs libanais qui lui ont écrit et composé textes et mélodies dont voici quelques exemples parmi la pléthore de chansons qu’elle a interprétées (3500 chansons).
· Les frères Rahbani : Aal nadda nadda
· Zaki Nassif : Ahla bihal talle
· Roméo Lahoud : Akhadou El Rih
· Chahrour el Wadi : Abou el Zelouf
· Elias el Rahbani : waadouni wou natarouni
· Melhem Barakat : Ya Lebnan dakhl trabak
· Walid Gholmieh : Kalaa Kbiré
· Philémon Wehbé : Gheltan bil nemra
· Farid el Attrach :Aklik menin
Sabah parvient à introduire la chanson libanaise dans le sacro-saint temple de l’art arabe qu’était le Caire.
Elle vécut sa vie libre, se maria 7 fois, eu 2 enfants. Modeste, spontanée, rieuse, professionnelle, excentrique, Sabah fut une véritable star au sens hollywoodien du terme. Le public attendait avec impatience de voir ses costumes de scène tant elle s’investissait dans cet aspect de son image. Elle n’a pas hésité à porter, dans l’une de ses comédies musicales, une robe garnie d’un système de petites lampes qui s’allumaient et s’éteignaient durant sa prestation. C’était novateur pour l’époque.
Sabah était très généreuse, autant avec ses proches qu’avec des étrangers. Donner était dans son ADN au point que ses maris successifs la surnommaient Madame la banque. Mais cette qualité lui joua de sales tours et c’est malade et seule qu’elle finit sa vie, confinée dans une chambre d’hôtel.
Elle aura marqué son temps et la scène artistique libanaise et arabe de son talent, de sa lumière et de sa ténacité laissant à la postérité 3500 chansons, 85 films et 20 pièces de théâtre.
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