À l’occasion des 50 ans du début de la Guerre civile libanaise (1975- 1990), Entre Amnistie et Amnésieest une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel. Cette tribune offre un espace d’expression pour partager des souvenirs, des ressentis, ainsi que des blessures et cicatrices (parfois encore douloureuses) laissées par la Guerre civile. Les questions s’adressent à toute personne souhaitant partager son témoignage et ses réflexions dans un esprit de dialogue et de sensibilisation, afin de contribuer à prévenir tout retour à la violence.
Témoignage de Gisèle Kayata Eid, auteure
On m’a demandé si je voulais participer à la rubrique bien pensée de l’Agenda culturel entre Amnistie et amnésie, pour raconter mes souvenirs de la guerre « civile » au Liban, déclenchée en 1975. J’ai longtemps hésité à l’appel de cet exercice. Et je ne comprenais pas vraiment pourquoi.
Peut-être parce que la guerre est en moi. La guerre et moi nous ne faisons qu’un. A part une enfance et une adolescence édulcorées que j’ai racontées dans de petits récits de mon livre « Beyrouth Tendresse », ma vie et la guerre sont indissociables, faites de combats, de peurs, de séparations, de pleurs, de bombes entendues, évitées, rapportées.
Mes souvenirs sont décousus entre déchirements et retrouvailles. Une installation ici ou là, dans l’insouciance provoquée ou celle naturellement ressuscitée comme par enchantement. Dans l’inquiétude de pouvoir passer à travers, en se déplaçant d’un village à l’autre, d’une maison à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un franc-tireur évité à un barrage agressif, à des douanes suspicieuses et beaucoup de voyages, comme effectués à travers les mailles d’un malheur qui pouvait se refermer sur moi. Voyages qui apportaient leur lot de consolation, celui de ne pas être constamment dans l’œil de l’ouragan.
Mais contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer après tant d’années, jamais l’oubli n’a pu s’installer en moi. Bien au contraire. Le désir de revenir est demeuré vivace, de retrouver ce qui n’est plus, d’espérer ce qui a disparu, de rêver qu’il revienne par miracle, par volonté, par désespoir ou comme ressuscité à la faveur d’une nomination …
La guerre déclenchée il y a 50 ans a « bouffé » ma vie, mais aussi m’a donné le sens de la vie. Celle que l’on attrape au vol par souci de la perdre, celle que rien ne remplace. La vie avec tout ce qu’elle a de beau à désirer, à attendre, à aimer.
La guerre et moi c’est une leçon de vie que l’ouate et la quiétude ne m’auraient peut-être pas donnée. Elle m’a appris le sens de la mesure, le goût de vivre le moment présent. La conscience de notre petitesse. La fragilité du présent. La vulnérabilité des relations et l’importance de les cultiver, de les soigner, de les garder. Mes amis d’avant-guerre sont toujours mes amis et les relations que je tissais au fil de mes allers et retours, comme qui dirait entre guerre et paix, sont toujours là, parce qu’elles sont fragiles, à l’image de cette vie mouvementée qui m’était destinée depuis ce malencontreux jour du 13 avril 1975 qui a torpillé mon pays… Un pays que je porte en moi et que je perpétue auprès de mes enfants et mes petits-enfants.
Un mirage ? peut-être. Mais finalement, au bout du compte, quand sonnent tous les moments du départ, le passé ne devient-il pas mirage ?
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