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Entre Amnistie et Amnésie : 'Le Liban en guerre (1975 à nos jours)'

19/03/2025

 

Dans le cadre de notre Dossier "Entre Amnistie et Amnésie, où est passé le souvenir de notre guerre civile", nous publions des témoignages, mais aussi des articles, études, essais, publications etc. sur ce sujet.



Le Liban en guerre (1975 à nos jours)

 

Dima de Clerck et Stéphane Malsagne

 

Nouvelle édition augmentée et mise à jour

Préface inédite d’Henry Laurens

 

© Éditions Belin / Humensis, 2020.

© Éditions Gallimard, 2025, pour la présente édition

 

Sortie mars 2025. Au Liban : avril 2025


Docteure en histoire de l’Université Panthéon Sorbonne et ancienne professeure invitée à l’IISMM et à l’Université Panthéon Sorbonne, Dima de Clerck est Chercheure associée à l’Institut français du Proche-Orient et enseignante universitaire. Auteure de nombreux articles et du présent ouvrage primé, elle a codirigé : 1860 histoires et mémoires d'un conflit (2015) et Liban : la guerre de 1975-1990 dans le rétroviseur (2020) et poursuit ses recherches sur les guerres au Moyen-Orient.

 

Agrégé, docteur en Histoire de l’Université Panthéon Sorbonne et ancien membre du jury de l’agrégation d’histoire, Stéphane Malsagne est spécialiste de l’histoire du Moyen-Orient et du Liban, pays auquel il a consacré plusieurs ouvrages dont deux primés. Après avoir enseigné dans diverses universités françaises et à Sciences Po Paris, il poursuit aujourd’hui ses recherches sur l’histoire du monde arabe et de la Chine contemporaine.

 

L’ouvrage, publié en 2020 et révisé pour sa version de 2025, marque le 50e anniversaire du déclenchement officiel de la « Guerre du Liban » le 13 avril 1975, dans un contexte tragique pour le pays, à nouveau plongé dans le conflit après l’offensive israélienne dévastatrice de l’automne 2024. Cette nouvelle édition, enrichie et mise à jour, répond à la nécessité de fournir des clés historiques pour comprendre la complexité actuelle de la crise libanaise. Elle revisite la période 1975-1990, durant laquelle une guerre dite « civile », aux implications régionales et internationales majeures, a dévasté le pays. En rappelant plus sommairement les événements postérieurs à 1990, elle défend en outre l’idée que le Liban n’a jamais réellement cessé d’être en guerre depuis 1975. Les problématiques qui affectent le pays en 2024 n’ont pas changé depuis 1975, notamment lors de l’invasion israélienne de 1982. La « Guerre du Liban », par son contexte, ses enjeux et sa durée, n’est pas seulement un conflit périphérique essentiel de la guerre froide, mais aussi un épisode clé de la question de Palestine[i]. Ce conflit est enchevêtré dans d’autres guerres qui, depuis 1948, ont bouleversé le monde arabe et le Moyen-Orient : les guerres israélo-arabes, la guerre froide arabe, la guerre Iran-Irak (1980-1988) et la guerre du Golfe de 1990. Il coïncide avec la fin de la guerre froide, marquée par l’effondrement du bloc communiste en 1989 et se clôt peu avant la chute de l’URSS en 1991.

Parent pauvre de l’histoire des relations internationales pendant la guerre froide, le conflit des années 1975-1990 continue d’être mal compris en raison de la complexité du terrain. Multiforme et multiscalaire, il a impliqué une diversité d’acteurs nationaux et étrangers engagés dans des affrontements par procuration. Dans l’histoire des guerres civiles postérieures à la Seconde Guerre mondiale, il se distingue par sa durée de 16 ans, qui en fait l’un des plus longs de la guerre froide, mais aussi par l’ampleur du phénomène milicien et son caractère « glocal »[ii]. L’historiographie dominante fait débuter ce conflit le 13 avril 1975, dans le contexte de la détente américano-soviétique, pour le clore au dernier trimestre de 1990, presque un an après la chute du mur de Berlin. Une analyse plus détaillée révèle cependant une périodisation complexe et un conflit dont la nature et l’appellation même divisent : « guerre civile », « guerre incivile », « guerre(s) du Liban », « guerre(s) au Liban », « guerre pour le Liban », « déchirure libanaise », « tragédie libanaise », « bourbier libanais », ou même « guerre pour les autres », « guerres libanaises » ?

Un ouvrage supplémentaire sur la Guerre du Liban ? Ce livre est adressé aux jeunes qui en savent peu du conflit qui a ravagé leur pays, traumatisé leurs familles et causé près de 100 000 victimes entre 1975 et 1990. Faute de consensus, la guerre est absente des manuels scolaires, laissant chaque communauté entretenir sa propre mémoire, souvent de manière antagoniste. Le Liban en guerre propose une première synthèse thématique qui offre une compréhension globale de la Guerre du Liban, analysée de l’échelle locale à l’échelle globale. Il explore les origines de ce conflit majeur du Moyen-Orient, les pratiques combattantes, la résilience des civils, les enjeux institutionnels et les implications transnationales, pour en saisir pleinement la portée et la complexité.

Pour l’historien, écrire une histoire apaisée de la Guerre du Liban représente un défi d’autant plus complexe que ce conflit a produit, parmi ses divers acteurs libanais et étrangers, des groupes de mémoires antagonistes, qui maintiennent chacun leur propre récit et leur propre souvenir de la guerre[iii]. Le conflit dit « civil » de 1975-1990 perdure ainsi dans les mémoires, compliquant pour les Libanais eux-mêmes la tâche d’en écrire l’histoire. En temps de paix, la Guerre du Liban se transforme en une « guerre des mémoires », en raison de l’absence d’une mémoire partagée, ce qui rend difficile toute véritable « sortie de guerre » dans le cas d’un conflit civil. Un obstacle supplémentaire pour les historiens réside dans l’accès aux archives de la guerre, dont une grande partie a disparu ou reste inaccessible. Dans un État au pouvoir hybride et contesté comme le Liban, aucune politique de centralisation et de conservation systématique des archives publiques et privées n’a été instaurée après 1990, ce qui rend complexe, voire impossible, l’accès aux sources écrites, d’où l’importance des témoignages et des enquêtes de terrain. Cette difficulté d’accès aux archives écrites et orales constitue un défi majeur pour les chercheurs. Malgré leur intérêt et les initiatives de certaines associations ou fondations pour l’étude de ce conflit, des pans entiers de la guerre restent inexplorés.

La Guerre du Liban demeure un sujet tabou et extrêmement sensible dans l’opinion publique. Le concept même de « guerre civile » en complexifie l’analyse en raison de la réticence des acteurs, voire des victimes, à reconnaître et à nommer ainsi ce conflit. Par conséquent, la guerre de 1975-1990 est souvent désignée par des termes qui atténuent sa nature « civile » et externalisent le mal, comme la guerre des autres, ou par de véritables euphémismes, tels que hawâdith (incidents), ahdâth (événements), masâyib (catastrophes), waylât (malheurs, calamités), ou encore al-ti‘tîr yalli ‘achnâ (« le drame que nous avons vécu »). La guerre civile, contrairement à d’autres types de conflits, est perçue comme un événement honteux et négatif, sans héroïsme ni gloire, où les « trophées » se réduisent au décompte macabre des victimes et aux défaites stratégiques de l’autre camp.

L’historien fait également face à une autre difficulté : celle d’écrire une histoire du temps présent. Alors que l’histoire moderne du Liban pourrait commencer avec le règne de Bachir II Chéhab (1789-1840), voire de Fakhreddîn (1572-1635), l’histoire du temps présent s’étend depuis l’indépendance, voire les années 1970. Elle traite d’événements inachevés et toujours en cours, car les mémoires de guerre prolongent le conflit, en en faisant un sujet toujours ouvert. Paul Ricœur, dans La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, distingue le fait de l’événement : ce dernier étant le fait enrichi des récits, mémoires et représentations sociales qui lui sont associés. Ce qui constitue l’événement, c’est le sens du fait. Autrement dit, « alors que l’histoire contemporaine travaille sur des faits et des périodes clôturés, l’histoire du temps présent est aux prises avec l’inachèvement de l’histoire ». La forte dialectique autour du soulèvement (Hirâk) d’octobre 2019 illustre cette dynamique. Cette mobilisation populaire avortée est perçue tantôt comme un retour à l’unité nationale et une sortie définitive de la guerre civile, tantôt comme les prémices d’un nouveau conflit interne où se greffent les enjeux contemporains d’une guerre-monde. Il n’a été ni l’un ni l’autre, mais l’observation de la polarisation croissante de la société libanaise, particulièrement face à la guerre de 2024, entre partisans de l’axe de la résistance et ses opposants pro-occidentaux, montre que l’insurrection n’a pas mis fin aux fractures au sein de la société, mais a en revanche attisé les tensions. Il en va de même pour la fin du régime de Bachar al-Assad, qui a suscité des sentiments partagés. La libération des détenus des prisons syriennes a ravivé chez beaucoup les haines et les rancœurs liées à la guerre, associées à la liesse de voir le régime tomber, tout en alimentant la crainte que le régime laïc soit remplacé par un régime islamiste et que les territoires libanais et syriens soient grignotés par l’armée israélienne. L’historien de la Guerre du Liban, comme pour l’étude d’autres conflits à forte dimension civile, doit relever le défi de maintenir une « juste distance ». Cette tâche est particulièrement complexe pour les historiens libanais ayant vécu la guerre et souffert de ses conséquences. Leur sensibilité devient toutefois indispensable et un atout véritable quand il s’agit de rendre compte et d’analyser les subtilités et les nuances d’une histoire complexe.

Peut-on toutefois vraiment bâtir un récit historiographique critique sur une histoire toujours en cours, a fortiorilorsqu’il s’agit d’événements traumatiques ? Entre 1975 et 2025, 50 ans seulement se sont écoulés et les plaies de la Guerre du Liban sont encore trop douloureuses pour permettre un quelconque apaisement. Il faudra des décennies peut-être pour y parvenir, mais sans garantie, comme l’a montré la mémoire des affrontements de 1840-1860 qui revient souvent au cœur de l’actualité[iv]. Or, de nombreux acteurs politiques tentent de se dédouaner des crimes qu’ils ont commis par le passé en écrivant une histoire falsifiée.

Animés par la volonté de proposer une histoire scientifique de la Guerre du Liban sans prétendre à l’exhaustivité, les auteurs de ce livre n’ont pas cédé à l’euphémisation ni à l’autocensure. À l’avenir, la réappropriation de cette guerre par les historiens nécessitera d’explorer en profondeur le champ d’une socio-histoire du conflit, qui prenne davantage en compte ses dimensions sociologiques (l’étude des groupes sociaux, des acteurs et leurs motivations) et permette un décentrement du regard, au-delà du strict cadre politico-militaire.

 

 

Dima de Clerck

 



[i] Henry Laurens, Question juive, problème arabe (1798-2001) : Une synthèse de la question de Palestine, Paris, Fayard, 2024.

[ii] Dima de Clerck, « The Lebanese War (1975-1990) Between the Local and the Global: A “Civil War” or a “Guerre-monde”? », in Leila Dakhliet Klaus Wieland, Stories on the Lebanese Civil War, Berlin, Marc Bloch Centre, 2025.

[iii] Dima de Clerck, « Druze and Christian commemorative landmarks in Southern Mount Lebanon », in Dick Douwes, Ruben Elsinga (dir.), publication à paraître.

[iv] Dima de Clerck, « La difficile écriture historique de la guerre civile », L’Orient-Le Jour, 13 avril 2019.

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