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Entre Amnistie et Amnésie : Nagy Rizk

31/03/2025

 

À l’occasion des 50 ans du début de la Guerre civile libanaise (1975- 1990), Entre Amnistie et Amnésieest une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel. Cette tribune offre un espace d’expression pour partager des souvenirs, des ressentis, ainsi que des blessures et cicatrices (parfois encore douloureuses) laissées par la Guerre civile.

 

Les questions s’adressent à toute personne souhaitant partager son témoignage et ses réflexions dans un esprit de dialogue et de sensibilisation, afin de contribuer à prévenir tout retour à la violence.

 

Témoignage de Nagy Rizk, 61 ans, Ingénieur, chef d’entreprise

 

En repensant à la Guerre civile, quels souvenirs ou récits marquants vous viennent à l'esprit ? Qu'ils aient été vécus directement ou transmis par la famille et les amis, comment ont-ils façonné votre identité ?

Au début, la Guerre Civile a été un déferlement de violence vécue et ressentie : kidnapping sur les lignes de démarcation qui commençaient à se dessiner, la prise de conscience que votre appartenance pouvait être une excuse pour vous éliminer. Trois souvenirs clés :

L’annonce aux voisins que le cadavre de leur fils arrêté à un barrage a été retrouvé après une longue nuit d’angoisse et la sœur qui pleurait sourdement ; l’explosion simultanée de deux voitures piégées en rentrant de l’école et ma mère blessée aux yeux par des éclats de verres ; les messes pour les martyrs après chaque escalade de violence : des adolescents dans des cercueils blancs et les hurlements de désespoir des femmes. Tout était dramatique, mêmes les joies des accalmies.

 

La Guerre civile a-t-elle laissé des traces dans votre vie aujourd’hui ? Si oui, lesquelles ?

Le plan B : la peur d’être coincé dans un endroit sans possibilité immédiate de rentrer chez soi, le raisonnement par «au cas où» qui est le vrai vestige de cette époque ; la patience et la résignation face à des évènements extérieurs, anticiper les pires des possibilités à chaque lever du soleil, ne pas paniquer. Les lacunes au niveau scolaire accumulées à travers les disruptions répétées. Et surtout le besoin d’ordre et la répugnance pour le chaos et l’arbitraire.

 

Dans vos moments de réflexion, comment exprimez-vous ou gérez-vous vos pensées et vos sentiments liés à la guerre ? Est-ce à travers des conversations, des œuvres artistiques, le silence ou d'autres moyens ?

Une aversion pour la violence physique sous toutes ses formes, une haine des armes et une grande empathie pour l’autre, celui qui a vécu une expérience similaire mais de l’autre côté.

En regardant les documentaires faits durant les années 1990 et 2000 sur la guerre, j’avais systématiquement des hauts-le-cœurs et je n’arrivais pas à continuer les épisodes jusqu’au bout (un parallèle direct avec le film «Orange Mécanique» de Stanley Kubrick, fameux à l’époque, à la suite du conditionnement), les documents écrits ou les photos étaient moins insupportables et j’ai été un lecteur avide des livres sur la période pour mieux comprendre et internaliser tout le vécu). 

 

Les guerres de 2006 et 2024 ont-elles fait resurgir des moments, des réflexes ou des émotions de la Guerre civile ?

L’insécurité, beaucoup plus violente, parce que, avec les obus et les francs-tireurs nous pouvions nous mettre à l’abri mais avec les avions, les drones et les missiles les règles du jeu ont changé. Le même sentiment de vulnérabilité mais décuplé

Et puis surtout l’angoisse de faire subir impuissants à nos enfants les mêmes expériences traumatisantes que nous avions vécues. Probablement le même type de culpabilité que nos parents ont dû sentir au début, avant de s’adapter.

 

Quand vous racontez vos souvenirs de la guerre aux jeunes générations, quel(s) message(s) voulez-vous leur transmettre ?

Nous ne racontons pas beaucoup de souvenirs par pudeur et parce que conscients que ceux qui ne l’ont pas vécu ne peuvent pas comprendre vraiment. Les souvenirs de la guerre se discutent entre personnes de même génération avec des hochements entendus et des références elliptiques. Pour les jeunes générations, nous racontons que nous avons tous été victimes et que nous avons mis du temps pour mieux comprendre l’environnement et les enjeux, qu’il faut rester continuellement vigilants et ne pas être entrainé dans des projets vindicatifs et vains et qu’il faut s’accrocher aux fondamentaux. Le message de base est que la meilleure stratégie est de survivre en attendant des jours meilleurs.

 

Aujourd’hui, trente-cinq ans après la fin de la guerre civile et plus de cinq années de crises violentes et éprouvantes, comment envisagez-vous l’avenir du Liban ? Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer pour construire cet avenir ?

Je suis continuellement fasciné par la capacité de retenue de tous bords, depuis au moins cinq ans, de ne pas succomber à la tentation de la violence débridée de la guerre civile, pour résoudre nos différents. Nous gagnons collectivement en maturité et nous avons internalisé plusieurs leçons directement et de notre environnement regional. Il y a de l’espoir. Mon travail est d’avoir un discours cohérent et balancé et de travailler ensemble pour structurer notre environnement sur des bases saines. Nous savons ce qui n’a pas fonctionné et nous avons une idée sur ce qui le peut.

 

 Lire les autres témoignages ici.

Si vous désirez vous exprimer et témoigner, cliquez ici

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