À l’occasion des 50 ans du début de la Guerre civile libanaise (1975- 1990), Entre Amnistie et Amnésie est une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel. Cette tribune offre un espace d’expression pour partager des souvenirs, des ressentis, ainsi que des blessures et cicatrices (parfois encore douloureuses) laissées par la Guerre civile. Les questions s’adressent à toute personne souhaitant partager son témoignage et ses réflexions dans un esprit de dialogue et de sensibilisation, afin de contribuer à prévenir tout retour à la violence.
Témoignage de Nabil Abou-Dargham. Né en 1962, auteur et fonctionnaire international
En repensant à la Guerre civile, quels souvenirs ou récits marquants vous viennent à l'esprit ? Qu'ils aient été vécus directement ou transmis par la famille et les amis, comment ont-ils façonné votre identité ?
Bien que je me souvienne de la guerre de 1967 et la guerre de 1973 entre les pays arabes et Israël, la guerre civile libanaise était pour moi un élément étrange qui a envahi ma vie et la vie de beaucoup d’autres de ma génération. D’autant plus que mon père (le général Mahmoud Tay-Abou-Dargham) était aussi l’officier père fondateur des commandos libanais ce qui fait que le dilemme était plus poignant du côté du rôle de l’armée dans ces circonstances délicates. Aujourd’hui, j’ai 50 ans de guerre sur le territoire libanais. C’est mon âge de vérité. J’ai réalisé que l’âge d’or des années 1960 et la première partie des années 1970 était un paradis d’amour enfantines, comme la neige dans la rivière, blanche un instant et puis qui fond pour toujours.
La Guerre civile a-t-elle laissé des traces dans votre vie aujourd’hui ? Si oui, lesquelles ?
A cause de cette guerre j’ai commencé à mettre mes émotions noir sur blanc et avec mes dessins et mes aquarelles. A cause de cette guerre je ne vois plus la passion de mon père pour le Liban et sa croyance inébranlable en ce petit bout de terre. Au contraire j’ai toujours peur pour le Liban.
Dans vos moments de réflexion, comment exprimez-vous ou gérez-vous vos pensées et vos sentiments liés à la guerre ? Est-ce à travers des conversations, des œuvres artistiques, le silence ou d'autres moyens ?
A cause de la guerre, j’ai écrit “La femme, le soldat et l’oiseau”, “avant de fermer les portes” et “Il était une fois la guerre et la nuit”. Ces recueils seront parmi les archives poétiques de la guerre. Mais l’écriture la plus forte c’est peut-être le silence profond.
Les guerres de 2006 et 2024 ont-elles fait resurgir des moments, des réflexes ou des émotions de la Guerre civile ?
Les guerres de 2006 et de 2024 étaient des guerres régionales sur le territoire libanais. Tout comme d’autres guerres après 1976. En effet, toutes les guerres ne produisent que la laideur. Elles nous poussent à poser la question :
Pour qui meurent mes enfants ?
L’hiver dévore leur peau
et refroidit nos rêves.
Quand vous racontez vos souvenirs de la guerre aux jeunes générations, quel(s) message(s) voulez-vous leur transmettre ?
Je voudrais leurs dire que toutes les guerres sont perdantes. C’est pour cette raison qu’il faut lutter pour la paix armés jusqu’aux dents. Et je voudrais leurs dire que l’humanité a perdu sa mission en cultivant la violence au prix du développement et du dialogue entre civilisations.
Aujourd’hui, trente-cinq ans après la fin de la guerre civile et plus de cinq années de crises violentes et éprouvantes, comment envisagez-vous l’avenir du Liban ? Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer pour construire cet avenir ?
Il n’y a plus de pays indépendants. Tous les pays du monde sont devenus interdépendants. Ils sont liés et attachés malgré eux par l’économie et la sécurité. Pourquoi de grandes forces font le tour du monde pour être présentes ? Certainement pas pour respecter et maintenir les droits de l’homme. Donc la survie du Liban se passera sous ce plafond de relations internationales. C’est à nous de gérer avec intelligence et sagesse cette réalité amère. Pour construire son avenir le Liban devrait se distinguer par son rôle culturel dans une marge assez grande de liberté.
Voudriez-vous ajouter quelque chose ?
Oui mon message pour mon pays :
Je voudrais effacer les guerres
avec une poésie
et de nouveau bâtir ma maison
à la forme de ton regard plus poignant
que celui de l’aigle en résurrection…
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