À l’occasion des 50 ans du début de la Guerre civile libanaise (1975- 1990), « Entre Amnistie et Amnésie, où est passé le souvenir de la Guerre civile ? » est une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel. Cette tribune offre un espace d’expression pour partager des souvenirs, des ressentis, ainsi que des blessures et cicatrices (parfois encore douloureuses) laissées par la Guerre civile. Les questions s’adressent à toute personne souhaitant partager son témoignage et ses réflexions dans un esprit de dialogue et de sensibilisation, afin de contribuer à prévenir tout retour à la violence.
Témoignage de Nada Corbani, 76 ans, consultante documentaire
En repensant à la Guerre civile, quels souvenirs ou récits marquants vous viennent à l'esprit ? Qu'ils aient été vécus directement ou transmis par la famille et les amis, comment ont-ils façonné votre identité ?
La fuite est le premier des souvenirs pour se préserver et la recherche de la lumière ensuite où qu’elle soit pour perdurer.
La Guerre civile a-t-elle laissé des traces dans votre vie aujourd’hui ? Si oui, lesquelles
Ne rien posséder......et continuer à avancer.
Dans vos moments de réflexion, comment exprimez-vous ou gérez-vous vos pensées et vos sentiments liés à la guerre ? Est-ce à travers des conversations, des œuvres artistiques, le silence ou d'autres moyens ?
Par l'écriture et de petites publications que je diffuse à ma famille et aux amis.
Les guerres de 2006 et 2024 ont-elles fait resurgir des moments, des réflexes ou des émotions de la Guerre civile ?
Bien sur..elles atteignaient maintenant nos enfants après nous avoir marqués à vie.
Quand vous racontez vos souvenirs de la guerre aux jeunes générations, quel(s) message(s) voulez-vous leur transmettre ?
La tolérance, l'acceptation des autres, et la recherche toujours de la lueur salvatrice.
Aujourd’hui, trente-cinq ans après la fin de la guerre civile et plus de cinq années de crises violentes et éprouvantes, comment envisagez-vous l’avenir du Liban ? Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer pour construire cet avenir ?
Mon rôle est de raconter aux jeunes de la famille à travers des publications que je leur offre mes valeurs de vie, mes valeurs de guide, mon mode de vie, et les valeurs qui ont accompagnée mon évolution de femme. Pour ne pas oublier...
Voudriez-vous ajouter quelque chose ?
Oui, je souhaite partager le texte si dessous.
MES ANNÉES DE GUERRE DANS LES BIBLIOTHÈQUES DE L’USJ
A l’Université Saint Joseph, mes années professionnelles débutèrent avec la guerre et si elles furent mouvementées, elles furent surtout passionnantes.
La guerre éclata en 1975, alors que je venais de rentrer de France pour prendre en charge la Bibliothèque de droit, d’économie et de gestions qui était un peu l’âme du Campus des sciences sociales dans lequel furent formées les meilleures compétences juridiques, politiques, économiques et autres.
Ce campus longeait la turbulente rue Huvelin dont les trottoirs et le parking en face allaient devenir par la suite les cibles, particulièrement exposées, des tirs des francs- tireurs qui sévissaient du haut des immeubles de la Rue Béchara El Khoury et dont la première victime, fut en 1981, Jean Khoury, le gardien du parking, connu pour sa serviabilité et sa gentillesse.
Quand les bombardements s’intensifiaient, les salles de lecture de la bibliothèque, situées au 1er sous-sol du bâtiment, servaient d’abris aux étudiants et surtout aux parents paniqués qui accouraient de partout pour s’enquérir de leurs enfants. Souvent quand les pilonnages se prolongeaient, les magasins de livres, situés au 2ème sous-sol où étaient conservées des collections uniques et valeureuses, étaient pris d’assaut par les usagers et les étudiants en quête de sécurité. Ces mêmes dépôts de livres, dont les étagères s’étalaient, droites et sécurisantes avec leurs gros volumes de droit debout courageusement dans l’attente de lecteurs chevronnés qui leur donneraient vie, servaient d’abris/dortoirs aux pères de la Compagnie de Jésus qui y passaient leur nuit.
Dans cette confusion et ce désordre il fallut jongler pour préserver le fonds documentaire et le protéger tout en assurant l’information et la documentation aux étudiants. La création des Centres d’études universitaires dans plusieurs régions du Liban en 1978 à l’initiative du Recteur, le R.P. Jean Ducruet, imposa ainsi de multiples déplacements des collections pour y créer de petites bibliothèques dans ces centres régionaux devant répondre aux besoins des chercheurs. Alimenter ces centres en nouveautés fut aussi un vrai casse-tête pour les bibliothécaires qui régulièrement devaient puiser de nouvelles références de la bibliothèque centrale dont les accès étaient sous le feu des francs-tireurs.
A cette époque, une entrée secondaire au Campus des sciences sociales fut ouverte par la Rue du Liban parmi les immeubles protecteurs et permit aux usagers d’accéder à l’université en étant à l’abri des tirs qui atteignaient la Rue Huvelin et ses environs.
Mais comme c’est toujours dans ces moments de détresse qu’une lumière jaillit, nous découvrîmes dans les greniers du magasin qui nous servait de gite quand le bruit des obus se rapprochait, deux trésors :
L’un, un portrait à l’huile, du RP Mouterde s.j., 1er Chancelier de la Faculté de droit de 1913 à 1942, par le peintre César Gemayel, qui aujourd’hui garnit les murs du bureau de la Doyenne de la Faculté de droit et des sciences politiques.
L’autre trouvaille, tout aussi fantastique, fut une série de photos des promotions de la Faculté de droit depuis sa naissance en 1920, un peu jaunis dans leurs vieilles boites en carton, mais si expressifs, qui me servirent à monter dans le hall de la Faculté une exposition historique de tous les étudiants promus, de 1920 à 2014, date du centenaire de la Faculté de droit. Quelques photos d’étudiants portant le tarbouche et la canne datées de 1913 et trouvées aussi dans ce même lot, garnissent aujourd’hui le hall qui mène à la Faculté de droit et des sciences politiques.
L’autre lumière fut l’initiative de Me Zoghbi d’ouvrir pendant la guerre sa bibliothèque à Kornet Chehwan et d’y accueillir tous les étudiants de l’USJ empêchés d’accéder au Campus des sciences sociales et désireux de faire des recherches. Il leur assura toute la logistique nécessaire à leur travail dans les salles de lecture de sa belle demeure libanaise, et accueillit surtout les bibliothécaires qui purent aussi assurer le travail administratif sans coupure.
Bien plus tard, Me Zoghbi fit don de sa Bibliothèque à la Faculté de droit et des sciences politiques dont il obtint la licence en droit en 1941. Ce fonds, aujourd’hui déplacé à la Rue Huvelin, peut se consulter à travers la Bibliothèque des sciences sociales.
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