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Entre Amnistie et Amnésie : Josyane Boulos

29/01/2025


À l’occasion des 50 ans du début de la Guerre civile libanaise (1975- 1990), « Entre Amnistie et Amnésie, où est passé le souvenir de la Guerre civile ? » est une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel. Cette tribune offre un espace d’expression pour partager des souvenirs, des ressentis, ainsi que des blessures et cicatrices (parfois encore douloureuses) laissées par la Guerre civile. Les questions s’adressent à toute personne souhaitant partager son témoignage et ses réflexions dans un esprit de dialogue et de sensibilisation, afin de contribuer à prévenir tout retour à la violence.

 

Témoignage de Josyane Boulos, Directrice Administrative et Artistique du Théâtre Le Monnot 


Le 13 avril 1975, nous étions  en famille à Himlaya, dans la montagne libanaise chez Fouad et Monique Haddad pour l’anniversaire de mon père. Les détails de la journée se sont enfuis de ma mémoire. Et mes parents ne sont plus là pour m’en rappeler. Mais je suis certaine que Fouad a du prendre un tas de photos, Papa a du faire un millier de calembours, Monique nous faire faire des dessins, Maman grimper et courir partout avec nous. Je suis sûre aussi que nous avons du cueillir du thym dans les champs encore vierges d’immeubles hideux, jouer à chambre noire dans la chambre de Robert, et se tenir la main en regardant Sannine en se disant que ce serait chouette si toute la vie était comme ce dimanche-là. Nous ne savions pas encore, vu que les cellulaires n’existaient pas et que nos parents n’avaient pas encore pris l’habitude d’écouter les nouvelles à la radio, nous ne savions pas encore que notre vie serait finalement comme ce dimanche là, pas celui passé à Himlaya, mais celui crée de toutes pièces à Ain el Remmaneh.

 

Si je ne me rappelle pas les détails de la journée, je n’oublierais jamais, ceux de la nuit. Vers la fin de l’après-midi, nous avons senti nous les enfants, au milieu de nos cris d’allégresse, le vent de panique qui a soufflé sur nos parents. Je ne sais pas comment ils ont su « que ça allait mal en ville. » A une vitesse incroyable, tout fut rangé, lavé, fermé, bouclé et nous, fourrés dans les voitures avant même d’avoir eu le temps de seriner le traditionnel « encore 5 minutes s’il te plait maman !». Les 2 voitures se sont suivies, les Haddad habitant dans le même quartier que nous, à Sodeco, future ligne de front. 

 

Les rues de Beyrouth étaient désertes. Arrivés chez nous, nous fûmes accueillis par des jeunes gens armés jusqu’aux dents. Ce n’étaient pas des soldats. Ils étaient habillés en civil. Ils nous font de grands signes de la main et nous conseillent de garer dans une ruelle. « A cause des francs-tireurs » hurla l’un. « Ne vous approchez pas des fenêtres ni des balcons et cachez les enfants » cria un autre, « n’allumez pas les lumières des chambres donnant sur la rue.» Nous avons rasé le mur du terrain vague qui côtoyait notre immeuble. Nous sommes arrivés dans notre appartement le cœur battant. J’avais peur. Et c’est à ce moment que j’ai entendu les premiers coups de feu de ma vie. Depuis je suis devenue experte des sons que font les armes. Du M16 au Kalachnikov, du RPG à l’horriblement célèbre Orgue de Staline…

Les voisins allaient et venaient dans la cage d’escaliers. Les jeunes miliciens aussi. Ils montaient au toit de chez nous « parce que bien situé »… Papa et maman nous ont fourrés dans la chambre de bonne. La seule pièce dans l’appartement qui ne donnait pas sur la rue. Je me rappelle que je tremblais comme une feuille et que j’ai été prise d’une quinte de toux interminable. Ma première toux de stress… Il y en a eu depuis !… Pour nous aider à dormir Maman nous fit avaler une double dose de Campho-pneumine, un médicament pour la toux un tantinet soporifique, comme par hasard. 
Le lendemain, nous n'avons pas été à l'école. Le premier "pas d'école aujourd'hui" qui sera suivi de centaines d'autres... 

Des histoires de guerre nous pouvons tous en raconter des milliers. Et nous devrions le faire au lieu de prétendre que rien ne s'est passé. 50 ans après ni guerre, ni paix. 50 ans après, nous n'avons toujours pas ce fait travail de mémoire tellement essentiel à notre survie.

13 avril 1975, mon père avait eu 41 ans. J’avais 12 ans et 5 mois. Je ne savais pas encore que c’était le dernier jour de mon enfance. Je ne savais pas encore que je ne connaitrais jamais la paix. La vraie. 


Lire les autres témoignages ici.

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