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Entre Amnistie et Amnésie : Zalfa Chelhot  

01/03/2025


À l’occasion des 50 ans du début de la Guerre civile libanaise (1975- 1990), « Entre Amnistie et Amnésie, où est passé le souvenir de la Guerre civile ? » est une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel. Cette tribune offre un espace d’expression pour partager des souvenirs, des ressentis, ainsi que des blessures et cicatrices (parfois encore douloureuses) laissées par la Guerre civile. Les questions s’adressent à toute personne souhaitant partager son témoignage et ses réflexions dans un esprit de dialogue et de sensibilisation, afin de contribuer à prévenir tout retour à la violence.

 

Témoignage de Zalfa Chelhot, 52 ans et 9 mois , Comédienne, Auteure, Metteure en scène et Coach de jeu

 

En repensant à la Guerre civile, quels souvenirs ou récits marquants vous viennent à l'esprit ? Qu'ils aient été vécus directement ou transmis par la famille et les amis, comment ont-ils façonné votre identité ?
Comme le dit si bien Prévert : “Quelle connerie la guerre” ! Mais quelle grande leçon! 

Quand la guerre a commencé j’avais 2 ans et 9 mois.

Je ne retiens de cette guerre qu’un cauchemar récurrent, qui m’a hanté pendant longtemps.

 

“ Mon père en habit de guerre qui me tient la main, mon petit frère sur ses épaules et qui court vers l’abri ET ET ET un squelette qui nous court après.”

 

Ce cauchemar a disparu il y a une dizaine d’années et tous mes souvenirs de guerre avec. 

 

C’est très bizarre je n’ai même plus envie d’en parler. C’est un “DÉNI CONSCIENT.”

C’est comme quand on est dans une relation toxique avec un pervers narcissique. La victime revient jusqu'à 7 fois à son bourreau, jusqu'à ce qu’elle dise STOP. Je m’en vais.

 

J’ai immigré au Canada en 2001, y ai vécu pendant 20 ans. Je suis de retour au Liban depuis 2020 puis rien n’a changé.

 

La guerre a juste changé de forme, c’est tout. 

 

La Guerre civile a-t-elle laissé des traces dans votre vie aujourd’hui ? Si oui, lesquelles ?

Non. Même les cicatrices sont guéries. Je lui avais permis de prendre trop de place, trop longtemps. C’était trop lourd à trimballer. J’ai perdu trop de temps à vouloir jouer à un jeu qui ne m’intéresse pas et dont je ne comprends pas les règles.

 

Dans vos moments de réflexion, comment exprimez-vous ou gérez-vous vos pensées et vos sentiments liés à la guerre ? Est-ce à travers des conversations, des œuvres artistiques, le silence ou d'autres moyens ?

Je prie, j’écris, je chante, je nage, je fais des retraites de silence. 

Pas facile d’avoir des “conversations”. On a chacun son rythme, ses inquiétudes et sa façon de gérer les choses. Quand les traumas se réveillent c’est un peu le chaos.

 

Les guerres de 2006 et 2024 ont-elles fait resurgir des moments, des réflexes ou des émotions de la Guerre civile ?

Pendant la 2006 j’étais au Canada. C’était horrible. Je devais être sur des plateaux de tournage, aller donner mes cours de jeu (fallait bien payer mon loyer à temps:  Bombes ou pas, le proprio il s’en fout royalement)  et je n’avais pas dormi la veille parce que je n’arrivais pas à contacter mes parents. À cette époque-là il n’y avait que le téléphone et je me rappelle que je payais entre $400 et $600 de facture. C’est vraiment horrible quand on est loin.

Pendant la 2024, j’étais rentrée au Liban (Grâce à Dieu). Je l’ai vécue ici. Les bruits ne me faisaient plus rien, ni les odeurs du phosphore le matin. Je n’écoutais pas les nouvelles, n’embarquais dans aucune conversation. Avec Josyane Boulos, au théâtre Monnot on a fait une résistance culturelle encore plus assourdissante que les vulgaires bruits des bombes. On a monté des lectures de Prévert (le jour où il y eu 18 raids) mes deux tantes - âgées de 80 ans -  se sont déplacées de Baabda pour assister au spectacle. Ce soir-là, on avait fait salle comble. J’ai monté un Hommage à Coluche. J’ai animé des ateliers de jeu pour de jeunes enfants de réfugiés, j’ai fait de l’humanitaire (distribution de matelas, nourriture, vêtements etc.). Je me réveillais chaque matin avec une énergie inexplicable. Je me sentais UTILE. Je faisais tout ce qui était en mon pouvoir de faire. Donc tout allait bien. Et tout ce qui était hors de mon contrôle, je m’en suis totalement détachée.

 

Quand vous racontez vos souvenirs de la guerre aux jeunes générations, quel(s) message(s) voulez-vous leur transmettre ?

Ne perdez pas votre temps à vous mêler de ce qui ne vous regarde pas. Ne laissez personne dicter votre jeu ni ralentir votre envol ! La guerre est toujours là, partout. La paix aussi. Ce n’est pas une place géographique, c’est un état, une dimension. Il n’en tient qu’à vous de choisir où vous avez envie de vivre. Que les choses changent ou pas, indépendamment de ce qui se passe à l'extérieur, c’est à chacun de vous de chercher les moyens qu’il faut pour accéder à l’état de grâce.

Les vagues sont juste à la surface de la mer, pas en dedans.

Soyez ACTEUR de votre propre vie !

 

Aujourd’hui, trente-cinq ans après la fin de la guerre civile et plus de cinq années de crises violentes et éprouvantes, comment envisagez-vous l’avenir du Liban ? Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer pour construire cet avenir ?

Je suis rentrée du Canada au bon moment. C’est ici que je suis le plus utile, avec une expertise de plus de 30 ans dans le domaine du Coaching de jeu/ Acting. Acteur = ACTION. 

Si je suis capable de jouer Antigone sur scène, et sur film, autant le faire dans la vraie vie.

Si j’ai réussi à trouver la paix en plein chaos, autant partager avec les autres mes techniques et mes outils.

Si j’ai trouvé un sens à mon existence, autant en faire profiter les autres.

 

Les traumas doivent sortir : La scène est un endroit sûr qui permet à chacun de se libérer, de libérer sa voix. Une fois libérés, on se sent légers, on voit plus clair et on est prêts à construire.

 

Voudriez-vous ajouter quelque chose ?

La plus grande leçon de la guerre est : “ ICI, MAINTENANT”. 

Le passé est passé, le futur s’il arrive on s’en occupera. Notre seule garantie est le présent. Alors vivons le à fond, dans la Gratitude.



Lire les autres témoignages ici.

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