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Nayla Chidiac et l’écriture qui guérit

26/01/2025|Zeina Saleh Kayali

Ce dernier ouvrage qui vient de paraître aux éditions Odile Jacob à Paris est déjà largement salué par la presse française (Le Monde, Madame Figaro etc.). Nayla Chidiac, docteur en psychopathologie et psychologue clinicienne, répond aux questions de l’Agenda Culturel.



Vous avez fondé des ateliers d’écriture thérapeutique à l’hôpital Sainte Anne à Paris et ils ont fait leurs preuves au service de personnes qui ont subi des traumatismes. Vous avez écrit plusieurs ouvrages à ce sujet dont Les Bienfaits de l’écriture, les bienfaits des mots (éditions Odile Jacob,2022). Aujourd’hui vous publiez l’Ecriture qui guérit. C’est un pas de plus ?

Il s’agit surtout de l’écriture qui guérit en temps de guerre ou à l’occasion d’un deuil, en tout cas dans une période sombre de la vie d’une personne. L’écriture devient alors le lieu du vivant. Vous ne subissez plus un drame en situation de passivité. En écrivant, vous agissez.


La première partie de l’ouvrage est un essai sur le lien de la guerre avec l’écriture ?

Oui, c’est le fruit d’une longue et ancienne réflexion sur le traumatisme psychique et le lien avec la mort qui me vient des différentes expériences vécues par mes patients, par moi-même et aussi de mes lectures sur de nombreuses années. Pourquoi écrit-on en temps de guerre et pourquoi n’écrit-on pas la même chose qu’en temps de paix ?


Vous évoquez aussi les différents genres d’écriture en temps de guerre ?

En effet, l’écriture en temps de guerre peut prendre des formes très différentes : le journal de guerre, la correspondance, le roman, le théâtre et bien sûr la poésie. Ici se pose également la question de quand écrire ? En plein dans le drame ou longtemps après ? Bien sûr s’il s’agit d’un journal, c’est au jour le jour. Apollinaire, dans les tranchées de la première guerre mondiale, écrivait sur des paquets de cigarettes ! Jorge Semprun a écrit bien après les faits, en 1994, sur des événements qui se sont déroulés en 1944. Primo Levi au contraire, a écrit sur son enfermement dans un camp de concentration, immédiatement après les faits.


La deuxième partie de l’ouvrage est un abécédaire, une galerie de portraits d’écrivains qui se sont exprimés dans des circonstances douloureuses de leur vie : tranchées, camp de concentration, génocides, khmers rouges, bombe atomique, guerre du Liban etc. Qu’est ce qui a motivé ce choix ?

Tout d’abord, cet abécédaire est une contrainte. Et le principe même des ateliers d’écriture thérapeutique est d’écrire avec une contrainte. Je porte ce livre en moi depuis trente ans et je n’arrivais pas à le concrétiser. Ecrire sur la guerre, d’accord mais quelle guerre ? La première ? La deuxième ? Celle du Liban ? Je ne savais pas comment procéder. Au lieu de se poser toutes ces questions, voici que l’abécédaire règle le problème : chaque auteur évoque son propre traumatisme, sa propre guerre, avec sa propre forme d’écriture.


Dans l’abécédaire vous portez un regard très personnel sur chaque auteur et son œuvre.

Oui et j’ai choisi une palette d’écrivains dont certains sont très célèbres (Léon Tolstoi, Marguerite Yourcenar, Raymond Queneau, Rainer Maria Rilke, Eugène Ionesco, etc.), d’autres beaucoup plus confidentiels (Scholastique Mukasonga, Zeruya Shalev etc.), certains qui ont été très célèbres en leur temps mais qui sont injustement tombés dans l’oubli (Georges Duhamel qui m’a beaucoup appris sur la guerre) ou alors qui sont connus dans un autre domaine, comme Astrid Lindgren que je cite pour ses Journaux de guerre, alors qu’elle est l’auteure de la célébrissime héroïne pour enfants Fifi Brindacier !


Vous choisissez quelques citations de chaque auteur que vous mettez très en valeur dans le texte, de façon à bien les faire ressortir. Pourquoi ?

Ces citations ont un double but. Tout d’abord, cela rend le texte vivant, le fait respirer. Et ensuite, pourquoi pas, cela peut servir d’incipit :  vous prenez une phrase et vous la continuez. C’est un exercice d’atelier d’écriture !


Vous avez choisi d’évoquer la guerre du Liban à travers deux auteurs

Oui, Venus Khoury Ghata, poétesse et romancière et Wajdi Moawad, auteur de théâtre et romancier. Deux géants de l’écriture, dans des styles totalement différents et à des générations différentes puisque l’une est née en 1937 et l’autre en 1968. Wajdi à travers des pièces de théâtre qui vous prennent à la gorge et pour qui « le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face » et Venus « la déesse » qui raconte sa jeunesse et sa vie dans « une maison au bord des larmes », avec un style poétique qui adopte une fonction métaphorique.


Il peut y avoir une grande difficulté et même une douleur à revenir à la vie normale après avoir vécu un traumatisme ?

Bien sûr, c’est le mythe d’Orphée, le retour de l’enfer et l’enfer du retour. Et c’est là que l’aide thérapeutique par l’écriture peut être d’un très grand secours. Pour Pascal Quigard « ce que l’on ne peut pas dire, on peut l’écrire » et c’est vrai qu’il y a des patients qui n’arrivent pas à parler de ce qu’ils ont vécu mais qui peuvent l’écrire. L’idée n’est pas forcément de transmettre ce que l’on a vécu, car cela peut s’avérer impossible, mais de se libérer par l’écriture.


Vous considérez que le mot « résilience » est galvaudé ?

Absolument il est utilisé à tort et à travers. Je lui préfère le terme de « transformation » ou « reconstruction psychique ». Le mot résilience vient de la physique : c’est un morceau de fer qui se tort et qui redevient le même. Or il faut savoir que dans le mécanisme psychique on ne peut pas redevenir le même. J’entends parfois des patients me dire « je ne suis pas résilient » comme s’il leur manquait quelque chose ! Mais ils reviennent du traumatisme qu’ils ont vécu avec quelque chose qui a changé, qui les a bouleversés et le rôle du thérapeute est d’aider le patient à quitter l’état de passivité pour devenir actif. C’est un travail de transformation et de reconstruction.


Que faut-il vous souhaiter ?

Que ce livre donne envie de lire, de découvrir, d’aller plus loin. Et aussi d’écrire bien sûr, mais surtout de lire !


Dédicace le 6 mars à Paris

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