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Entre Amnistie et Amnésie : Amale Choueri

10/02/2025


À l’occasion des 50 ans du début de la Guerre civile libanaise (1975- 1990), « Entre Amnistie et Amnésie, où est passé le souvenir de la Guerre civile ? » est une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel. Cette tribune offre un espace d’expression pour partager des souvenirs, des ressentis, ainsi que des blessures et cicatrices (parfois encore douloureuses) laissées par la Guerre civile. Les questions s’adressent à toute personne souhaitant partager son témoignage et ses réflexions dans un esprit de dialogue et de sensibilisation, afin de contribuer à prévenir tout retour à la violence.


Témoignage de Amale Choueri, 59 ans, CAE 


En repensant à la Guerre civile, quels souvenirs ou récits marquants vous viennent à l'esprit ? Qu'ils aient été vécus directement ou transmis par la famille et les amis, comment ont-ils façonné votre identité ?

En 1975 j’avais 10 ans, je passais l’été dans une colonie de vacances en Suisse et début septembre, mes parents m’ont annoncé que je ne retournerai pas au Liban et que j’irai directement en France pour la rentrée des classes dans un pensionnat. Je n’ai bien sûr pas compris ni accepté cette décision et j’en ai beaucoup souffert. Je n’ai pas pu faire mes adieux à ma maison, mes jouets, ma poupée préférée, tous mes souvenirs d’enfance. Et j’en ai gardé une rancune tenace envers mes parents. Ce n’est qu’avec le recul et bien des décennies plus tard que j’ai réalisé que mon père avait déjà vu que le pays n’avait plus d’espoir et qu’il fallait me mettre à l’abri et assurer mon avenir.

Je garde un souvenir douloureux de mon premier hiver parisien, gris et froid, et d’une rentrée des classes dans un pensionnat dans les Yvelines où j’étais la seule libanaise. Bien d’autres libanais ont suivi par la suite mais j’étais la pionnière. Déracinée et solitaire, la cruauté des enfants de ma classe, m’a frappé de plein fouet. J’étais l’Étrangère, les filles se moquaient de mon accent, se gaussaient de mon prénom et me demandaient si je montai à chameau … je garde un traumatisme profond de ce passage à l’âge adulte sans transition.


La Guerre civile a-t-elle laissé des traces dans votre vie aujourd’hui ? Si oui, lesquelles ?

Encore aujourd’hui, je me demande ce qu’aurait été ma vie si je n’avais pas quitté le Liban. Un tournant certainement différent. D’autres choix peut être, d’autres opportunités, un autre parcours et une autre vie très certainement… meilleure ou pire ?  En tout cas probablement très différente …


Dans vos moments de réflexion, comment exprimez-vous ou gérez-vous vos pensées et vos sentiments liés à la guerre ? Est-ce à travers des conversations, des œuvres artistiques, le silence ou d'autres moyens ? 

Je pense que j’ai fait un refoulement psychologique, ce mécanisme de défense identifié par Freud, où l’esprit relègue dans l’inconscient des souvenirs ou des émotions trop douloureux. Pendant très longtemps j’ai refusé d’y penser, d’en parler. D’ailleurs avec ses lignes c’est la première fois que m’exprime, que je lève un peu le voile. 


Les guerres de 2006 et 2024 ont-elles fait resurgir des moments, des réflexes ou des émotions de la Guerre civile ?

Pas particulièrement puisque je n’ai pas connu la guerre, pas entendu un seul coup de feu ou une explosion. 


Quand vous racontez vos souvenirs de la guerre aux jeunes générations, quel(s) message(s) voulez-vous leur transmettre ?

Que le Liban est une exception sur terre, qu’il a longtemps été un miracle, puis un cauchemar. Que c’est un pays où l’on trouve des gens exceptionnels aussi bien que les pires voyous. Que c’est un pays avec une résilience unique et qui, comme le Phénix de la mythologie, renaît toujours de ses cendres. Qu’on ne peut pas toujours accuser les autres de tous nos maux mais que nous devons aussi faire face à nos erreurs, à notre responsabilité. 


Aujourd’hui, trente-cinq ans après la fin de la guerre civile et plus de cinq années de crises violentes et éprouvantes, comment envisagez-vous l’avenir du Liban ? Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer pour construire cet avenir ? 

Avec le nouveau gouvernement j’ai pour la première fois de l’espoir. Je pense que c’est le temps du renouveau et de la table rase. Nous avons une chance qui ne se représentera plus. Saisissons-la.  

A mon niveau je continuerai à aider autant que faire se peut, et à mon échelle, à faire de l’associatif en toute discrétion, à aider les plus démunis. L’état étant totalement démissionnaire, c’est le secteur privé et tous les gens de bonne volonté qui ont pris le relais. Ne rien attendre de l’état et miser sur la solidarité. 


Voudriez-vous ajouter quelque chose ?

 Le Liban a tout connu, la faillite bancaire, la banqueroute de l’État, la confiscation des dépôts bancaires, les mafias dans tous les domaines, la corruption endémique, les invasions et occupations territoriales par nos voisins, des ingérences de tous bords, le torpillage venant de l’intérieur même du pays, les intérêts personnels qui ont primé sur ceux de la nation, les entraves à la justice, le traumatisme du 4 août, les assassinats en toute impunité, la répression, l’immigration massive des syriens, l’insécurité, la dévaluation de la monnaie,  … et j’en passe …

Il est temps de voir la sortie du tunnel. Nous le méritons. 


Lire les autres témoignages ici.

Si vous désirez vous exprimer et témoigner, cliquez ici

 

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