À l’occasion des 50 ans du début de la Guerre civile libanaise (1975- 1990), « Entre Amnistie et Amnésie, où est passé le souvenir de la Guerre civile ? » est une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel. Cette tribune offre un espace d’expression pour partager des souvenirs, des ressentis, ainsi que des blessures et cicatrices (parfois encore douloureuses) laissées par la Guerre civile. Les questions s’adressent à toute personne souhaitant partager son témoignage et ses réflexions dans un esprit de dialogue et de sensibilisation, afin de contribuer à prévenir tout retour à la violence.
Témoignage de Christine Choueiri, 56 ans, actrice
En repensant à la Guerre civile, quels souvenirs ou récits marquants vous viennent à l'esprit ? Qu'ils aient été vécus directement ou transmis par la famille et les amis, comment ont-ils façonné votre identité ?
Plusieurs souvenirs me reviennent quand je repense à la guerre, au début, je me rappelle des fous rires avec mon frère et ma sœur à chaque fois qu’un obus tombait tout près, puis un peu plus tard, il y a eu la peur, la peur des attentats, des bombardements, du son des tirs et surtout une peur atroce lors de l’épisode où on a été pris en captivité durant une dizaine de jours par l’armée syrienne à Sin el Fil. C’était des moments de terreur car on ne savait pas si on allait rester en vie ou pas, à l’époque, étant très jeune, je ne savais pas comment réagir à une situation que je ne comprenais pas.
La Guerre civile a-t-elle laissé des traces dans votre vie aujourd’hui ? Si oui, lesquelles ?
Bien sûr qu’il y a des traces, je ne me rendais pas compte à quel point la guerre avait façonné mon esprit et ma manière de penser, même mes choix. Je me suis rendue compte plus tard à la manière dont je réagissais, la manière dont j’envisageais le futur qui pour moi existait uniquement sur une courte période, je ne pouvais pas planifier ma vie sur le long terme, jusqu’à maintenant je suis incapable de planifier ma vie sur une longue durée.
Dans vos moments de réflexion, comment exprimez-vous ou gérez-vous vos pensées et vos sentiments liés à la guerre ? Est-ce à travers des conversations, des œuvres artistiques, le silence ou d'autres moyens ?
Le silence et la réflexion sur ce que j’ai vécu m’ont beaucoup aidé à accepter certaines choses et m’ont permis à mieux me comprendre et à exprimer mon côté artistique que ce soit à travers l’écriture ou la comédie.
Les guerres de 2006 et 2024 ont-elles fait resurgir des moments, des réflexes ou des émotions de la Guerre civile ?
J’ai découvert que la guerre civile n’était pas finie, elle a juste pris une autre forme, celle de 2006 m’a foutue une claque énorme, c’était comme si quelqu’un m’avait pris et jeté contre un mur. Je suis revenue au Liban en 1998 après 10 ans en dehors du pays, pleine d’optimisme et d’espoir, et puis tout d’un coup tout a été anéanti, j’ai eu à peine le temps de respirer, et voilà la crise 2019, Corona, le 4 août, octobre 2023, puis notre octobre 2024, je crois que rien ne pouvait être pire.
Quand vous racontez vos souvenirs de la guerre aux jeunes générations, quel(s) message(s) voulez-vous leur transmettre ?
J’ai horreur de la guerre, car les guerres ont prouvé être mensongères, je croyais qu’on faisait des guerres de principes et de convictions, mais les guerres sont uniquement une question de pouvoir et d’argent. Je pleure ceux qui sont morts pour des soi-disant droits humains car même si à la base ils y croyaient, je pense profondément qu’ils ont été manipulés pour des raisons beaucoup plus malsaines, et je pleure toujours ceux qui croient qu’on pourrait résoudre les problèmes avec de la violence et du fanatisme. Et j’espère profondément que la nouvelle génération comprendra ceci et ne se laisse pas manipuler par des Draculas et des vautours avides de sangs et de pouvoir.
Aujourd’hui, trente-cinq ans après la fin de la guerre civile et plus de cinq années de crises violentes et éprouvantes, comment envisagez-vous l’avenir du Liban ? Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer pour construire cet avenir ?
Je ne sais plus comment envisager l’avenir au Liban, je ne sais plus s’il peut y avoir un avenir dans ce pays. Je suis traumatisée par tant de violence et de cruauté, j’ai peur d’espérer d’un meilleur lendemain et de me prendre une baffe encore une fois, mais, étant une incurable optimiste, je me dis que peut-être on pourra rêver qu’un jour on aura un pays qui correspondra à nos rêves et nos espoirs. Je l’espère en tout cas de tout mon cœur.
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