À l’occasion des 50 ans du début de la Guerre civile libanaise (1975- 1990), « Entre Amnistie et Amnésie, où est passé le souvenir de la guerre civile ? » est une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel. Cette tribune offre un espace d’expression pour partager des souvenirs, des ressentis, ainsi que des blessures et cicatrices (parfois encore douloureuses) laissées par la Guerre civile. Les questions s’adressent à toute personne souhaitant partager son témoignage et ses réflexions dans un esprit de dialogue et de sensibilisation, afin de contribuer à prévenir tout retour à la violence.
Témoignage de Katya Traboulsi, 64 ans, artiste
En repensant à la Guerre civile, quels souvenirs ou récits marquants vous viennent à l'esprit ? Qu'ils aient été vécus directement ou transmis par la famille et les amis, comment ont-ils façonné votre identité ?
Quand la guerre a commencé, j’avais 15 ans… Adolescente pleine d’énergie rebelle, je découvrais un monde bouleversé. La guerre, avec ses souvenirs d’abris, de manque d’eau et d’électricité, de transistors, de flashs infos… Des mots nouveaux entraient dans ma vie : maronites, musulmans, palestiniens, bataille des hôtels, ligne verte, et tant d’autres.
L’horreur de la guerre était devenue si familière qu’elle s’imposait comme une normalité quotidienne. Et l’adolescente que j’étais voulait s’y joindre.
J’ai travaillé dans le dispensaire du quartier, coopérant comme je pouvais aux tâches médicales et roulant sans cesse des sandwichs pour les combattants. Je faisais aussi partie d’un groupe de musique avec les copains du quartier. Nous nous entraînions dans les abris des immeubles et, au fil des années de guerre, nous avons été soudés par une amitié réconfortante. La vie était entrecoupée de sorties, de concerts, d’abris, de malheurs, mais aussi de moments intenses de petits bonheurs.
L’art et l’écriture ont toujours été en parallèle ma thérapie, mon exutoire. J’avoue que ces années ont laissé en moi une nostalgie profonde, un attachement presque émotionnel à cette période qui a façonné ma vie. À l’époque, je ne connaissais pas d’autre réalité. Avec le recul, je pense que cette expérience a été bénéfique, tant sur le plan artistique que sur le plan personnel.
La Guerre civile a-t-elle laissé des traces dans votre vie aujourd’hui ? Si oui, lesquelles ?
Je n’ai pas fermé ce chapitre de ma vie. La guerre continue, elle n’est jamais vraiment terminée dans notre pays. Elle s’est simplement transformée. Les traces, les égratignures, les plaies, les souvenirs, le jugement, l’espoir… Tout est là, au quotidien, partout : dans les mots, dans les œuvres d’art, dans nos rues. Les traces appartiennent au passé… Mais nous, nous avons un passé-présent et nous vivons avec. Nous avons la rage de vivre, malgré cette fatigue, malgré ce besoin de changement…
Dans vos moments de réflexion, comment exprimez-vous ou gérez-vous vos pensées et vos sentiments liés à la guerre ? Est-ce à travers des conversations, des œuvres artistiques, le silence ou d'autres moyens ?
J’ai un attachement empreint de curiosité aux années de guerre. J’ai besoin d’en savoir plus, de comprendre l’autre, je n’éprouve aucun sentiment de rejet. La guerre, dans mon domaine artistique, a été une immense source d’inspiration, me permettant de témoigner, à ma façon, de mon vécu. Un vécu d’un côté, qui ressent le besoin constant de découvrir l’autre côté du miroir.
Les guerres de 2006 et 2024 ont-elles fait resurgir des moments, des réflexes ou des émotions de la Guerre civile ?
La guerre 2006 et 2024 ont fait resurgir la peur enfouie dans mes années de jeunesse. C’était une révélation pour moi de constater que j’avais des traumatismes enfouis qui sont ressortis, mon immunité émotionnelle était ébranlée pour faire place à une peur consciente du danger que l’on ne ressent pas quand on est jeunes.
Quand vous racontez vos souvenirs de la guerre aux jeunes générations, quel(s) message(s) voulez-vous leur transmettre ?
Les leçons que l’on en tire sont précieuses. La transmission est essentielle pour éviter que l’histoire ne se répète. Les manipulations des esprits sont dévastatrices pour les jeunes. Aujourd’hui, il faut en parler, changer la donne, libérer les jeunes de ces idées de guerre et de séparation qui perdurent. Il est nécessaire de connaître l’histoire pour en tirer des enseignements et regarder vers un avenir plus constructif.
Aujourd’hui, trente-cinq ans après la fin de la guerre civile et plus de cinq années de crises violentes et éprouvantes, comment envisagez-vous l’avenir du Liban ? Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer pour construire cet avenir ?
Avec notre nouveau président et premier ministre enfin de qualité, l’espoir de construire à nouveau un Liban uni, libre, souverain, est notre radeau de sauvetage. On s’y accroche avec toute la force de l’espoir et l’amour qu’on a pour ce pays.
Voudriez-vous ajouter quelque chose ?
On a une relation d’amour haine, désespoir espoir, pour ce pays et son peuple, mais on ne s’ennuie jamais dans cette bataille qui un jour prendra fin. Je garde l’espoir.
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