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Entre Amnistie et Amnésie : Leila Amad Bissat

17/02/2025

 

À l’occasion des 50 ans du début de la Guerre civile libanaise (1975- 1990), « Entre Amnistie et Amnésie, où est passé le souvenir de la Guerre civile ? » est une série d’articles publiée par l’Agenda Culturel. Cette tribune offre un espace d’expression pour partager des souvenirs, des ressentis, ainsi que des blessures et cicatrices (parfois encore douloureuses) laissées par la Guerre civile. Les questions s’adressent à toute personne souhaitant partager son témoignage et ses réflexions dans un esprit de dialogue et de sensibilisation, afin de contribuer à prévenir tout retour à la violence.

 

Témoignage de Leila Amad Bissat

 

En repensant à la Guerre civile, quels souvenirs ou récits marquants vous viennent à l'esprit ? Qu'ils aient été vécus directement ou transmis par la famille et les amis, comment ont-ils façonné votre identité ?

La guerre civile nous a tous gravement marqué, même si Grâce à Dieu, ma famille et moi avons été épargné des pertes humaines directes ainsi que des dégâts matériels trop affligeants, comme cela s’est passé dans les zones limitrophes des combats qui ont tout fauché sur leurs chemins meurtriers.

N’empêche que les bombardements étaient souvent proches et nous devions courir nous cacher ici et là en l’absence d’abris proprement dit. C’était les couloirs ou les salles de bains et même la baignoire quand cette dernière n’était pas utilisée comme réservoir d’eau ! 

Ce qui me choque maintenant c’est comment nous osions sortir parfois le soir pour nous changer les idées, tandis que pas loin de cette petite impasse à Hamra, les batailles faisaient rage. Souvent des éléments armés jusqu’aux dents surgissaient de partout et à nous de courir vers notre voiture pour rentrer chez nous. Et ces mêmes chabeb du quartier de s’enquérir de nous si ça va. Il y avait une absurdité qui régnait. Le plus difficile fut l’invasion israélienne de Beyrouth, quand la partie ouest fut étranglée et encerclée par l’armée israélienne. J’ai senti la honte qu’une capitale comme Beyrouth soit laissée à son propre sort de cette manière.

J’ai toujours eu le sentiment d’appartenance et de nationalisme, il a été renforcé. Le Liban ne doit pas être le terrain de jeux des autres, car toutes les factions sont perdantes. Il n’y a jamais eu de gagnant à ma connaissance.

 

La Guerre civile a-t-elle laissé des traces dans votre vie aujourd’hui ? Si oui, lesquelles ?

La guerre civile n’a pas pu passer dans notre mémoire même collective, comme une lettre à la poste. C’est une blessure qui m’a renforcé dans mes sentiments envers autrui, mon empathie et mon désir de faire bouger les choses.

Des amies ont disparu, certains sont blessés, d’autres sont malades à vie avec du diabète ou handicap physique, les points de repère ont disparu. Je m’estime heureuse et remercie Dieu qui nous a épargné bien de malheurs à moi et ma famille proche. Autour de nous il n’y a eu que des malheurs !

 

Dans vos moments de réflexion, comment exprimez-vous ou gérez-vous vos pensées et vos sentiments liés à la guerre ? Est-ce à travers des conversations, des œuvres artistiques, le silence ou d'autres moyens ?

La lecture m’aide beaucoup dans mes moments de réflexion, en repensant à cette période dure qui nous a happé à la sortie vers la Vie. Je lis surtout des romans liés à cette triste et violente période et j’essaie de comprendre les différents points de vue qui ont emmené à cette catastrophe. Cela m’aide à ne pas rester cloîtrée dans une direction. L’âge a ses raisons. Et puis je lis certains essais de nature politique pour voir le problème de manière plus globale. Finalement quel gâchis cela a été. J’aime beaucoup les tableaux mais je n’acquiers aucun qui me rappelle la guerre. C’est trop triste à avoir sur les murs de son domicile. Les murs ont subi beaucoup de destruction!


Les guerres de 2006 et 2024 ont-elles fait resurgir des moments, des réflexes ou des émotions de la Guerre civile ?

Les guerres, il semble qu’elles sont synonymes d’un si beau pays. Tout le monde l’aime à la folie, un amour destructeur qui finalement n’épargne personne. La guerre de 2006 fut un moment très difficile, mais cette guerre a abouti à un retrait de l’armée israélienne qui a subi des pertes très fortes. L’année 2024 est encore plus cruciale et plus violente avec un ennemi que rien n’arrêtait dans son désir de violence. Cette guerre est aussi liée à un conflit de grande envergure, et la victoire n’est pas en vue. Oui j’ai eu très peur que de nouveaux conflits internes n’éclatent, ce pressentiment ne me quitte pas. Je sens que les bases du pays ne sont pas solides, les alignements politiques sont très fortement tracés.

 

Quand vous racontez vos souvenirs de la guerre aux jeunes générations, quel(s) message(s) voulez-vous leur transmettre ?

Je parle aux jeunes des difficultés, des moments durs et sombres et cela d’une façon un peu drôle pour ne pas les éloigner trop de notre pays et pour inculquer le sentiment d’appartenance à ce beau territoire. Je ne veux pas qu’ils aient peur, car ils aiment le Liban. Je tiens à leur dire qu’il faut avoir confiance et le Liban est là depuis la nuit des temps. Peut-être qu’ils choisiront de l’aider. Je suis très fixée sur l’idée de racines.

 

Aujourd’hui, trente-cinq ans après la fin de la guerre civile et plus de cinq années de crises violentes et éprouvantes, comment envisagez-vous l’avenir du Liban ? Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer pour construire cet avenir ?

Après des années passées à l’étranger, je n’ai jamais quitté le Liban. Je revenais avec ma famille et à nouveau avec l’éclatement des combats nous repartions, pour y retourner à nouveau. Ma participation à la relève du pays fut la création de la librairie de jeunesse L’Arche de Noé, espace dédié aux enfants et aux jeunes pour disséminer des idées d’entente et de respect mutuel loin de l’esprit de guerre. Tout le travail était centré sur les fondements d’un patrimoine que nous partageons tous. 

Sur le plan personnel je fais partie du Comité de Musique Zaki Nassif à l’AUB, dont le but est de promouvoir et d’apprendre à apprécier notre héritage musical authentique qui reste une porte ouverte vers une même identité et attachement au sol, de même que mon adhésion au comité du Festival de Baalback et au Amis du Conservatoire National de Musique. La musique adoucit les cœurs et les mœurs !

 

Voudriez-vous ajouter quelque chose ?

Avec tous mes remerciements pour vous adresser à moi.

 

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